A la différence d’Adam Smith et Turgot qui pensaient que l’activité économique apporte le progrès en permanence, grâce à des adaptations permanentes voulues par le marché, Malthus estime que la crise est inéluctable dans un pays industrialisé. C’est ce que lui inspirent les poussées de chômage et de misère que l’Angleterre industrialisée commence à connaître à partir des années 1780. Malthus ouvre ainsi la série des économistes qualifiés de « pessimistes », et aura ainsi des disciples aussi célèbres que Ricardo, Marx et Keynes.
Les méfaits de l’épargne
Malthus impute l’origine des crises à l’excès d’épargne. Si l’on voulait que l’économie fonctionne en permanence à plein régime, il faudrait que tous les revenus distribués par les entreprises à l’occasion de la production (les salaires et les intérêts payés pour rémunérer les facteurs de production) fassent retour aux entreprises sous forme de dépenses. Mais pouvoir d’achat n’est pas volonté d’achat. L’argent gagné n’est pas dépensé, une partie est épargnée et va donc disparaître : c’est une fuite dans le circuit. Il y a surproduction, les producteurs n’ayant pas écoulé sur le marché la totalité des biens qu’ils avaient proposés. Ils vont réajuster leurs calculs en mettant une partie de leurs salariés au chômage, et de nombreuses entreprises fermeront leur porte. Faut-il venir en aide aux populations touchées par la misère ? Sûrement pas, et Malthus s’oppose aux « lois sur les pauvres » votées par le Parlement, désireux de nourrir les gens sans ressources. La surproduction est le signe d’une surpopulation.
La loi de population
En effet, Malthus est persuadé que les subsistances seront de plus en plus insuffisantes pour nourrir une population sans cesse croissante. Il en fait une véritable loi : la population croît suivant une progression géométrique, tandis que les subsistances croissent suivant une progression arithmétique. Il croit tirer cette loi des observations hâtives qu’il a faites dans quelques villes et régions d’Europe. Il est vrai qu’à l’époque la révolution démographique est en marche, notamment avec le progrès de la médecine et des soins, tandis que la nourriture est chère et rare dans les villes.
Ainsi Malthus est-il le père de tous les marchands de peur, de tous ceux qui pensent que l’apocalypse économique est devant nous. Cette obsession du cataclysme final se retrouve à plusieurs moments de l’histoire contemporaine, qu’il s’agisse de prévoir la faim dans le monde et la surpopulation (dans les années 1950 quand naît le concept de Tiers Monde), ou l’épuisement des ressources naturelles et l’explosion des pollutions dans les années 1960 (le club de Rome et halte à la croissance), ou enfin le réchauffement climatique et la fin de la biodiversité dans les années 2000 (le développement durable).
Politique ou vertu ?
A la différence de sesdescendants, Malthus n’était pas partisan d’intervenir, et ne pensait pas que l’Etat puisse arranger les choses. A ses yeux la loi sur les pauvres est un exemple de ce qu’il ne faut pas faire : s’il n’y a pas de place au « grand banquet de la nature », celui qui n’a pas de quoi survivre sera prié par la nature elle-même de se retirer du banquet. En aidant les pauvres on les multiplie. Il existe heureusement une autre solution : que les hommes règlent le nombre de leurs enfants sur les revenus dont ils disposent. Ils peuvent le faire, car l’homme à la différence de l’animal peut maîtriser la croissance de son espèce. Il faut donc maîtriser la fécondité, mais certainement pas par la contraception, uniquement par le célibat et l’abstinence. C’est la vertu, et non la politique, qui permet d’éviter les méfaits des crises.
Malthus et Say
Malthus sera en correspondance pendant près de quinze ans avec Jean Baptiste Say, l’économiste français le plus célèbre à cette époque. Ils débattront notamment de l’épargne, et du rôle négatif qu’elle jouerait en économie. Say fera remarquer à Malthus qu’en même temps que se produit une fuite d’épargne dans le circuit il y a aussi une injection d’épargne, car les sommes épargnées sont bien destinées à être réutilisées à un moment ou à un autre. Mais à quel moment ? demande Malthus. Peu importe, répond Say car les flux d’épargne et de désépargne sont pratiquement constants dans le temps, et suivent les mouvements de la production.
Publié en collaboration avec http://www.libres.org