Ludwig von Mises appartient à « l’école autrichienne d’économie » fondée par Carl Menger, dont il reprend les deux idées majeures : l’individualisme méthodologique (on ne peut comprendre l’économie qu’à partir des décisions prises par les individus), la subjectivité de la valeur (la valeur attribuée à un bien ou service varie avec chaque individu et chaque contexte).
Allant plus loin que son maître de Vienne, Mises fait de la science économique une
branche de la « praxéologie », science de « l’agir humain » : comment les hommes se comportent-ils dans les choix qu’ils ont à faire dans la vie ? Obéissent-ils à une logique immuable et quantifiable (position des purs rationalistes et des inventeurs néo-classiques de l’homo oeconomicus) ? Sont-ils conditionnés par l’histoire (position des historicistes allemands qui entretiennent une violente querelle avec les économistes autrichiens) ? Ou sont-ils simplement guidés par ce qu’ils pensent être leur intérêt, compte tenu des multiples paramètres qui entrent dans leur calcul ? Ceci est la position des classiques libéraux depuis Adam Smith, c’est celle des économistes autrichiens.
La dynamique économique : l’économie du temps et du savoir
Pour les Autrichiens, il ne fait aucun doute que chaque décideur effectue ses choix grâce à une grille de lecture qui lui est propre. Il porte en lui son passé, son présent et son avenir. Son passé est son expérience : l’action humaine est éclairée par les erreurs commises ou les essais réussis. Le présent se reflète dans le prix que l’on attache au temps ; le temps est lui-même subjectif, il y a des minutes qui durent des heures, et inversement. Le futur est dominé par l’incertitude radicale, un concept de Menger : on ne peut même pas probabiliser les évènements futurs, parce que les projets de chacun vont devoir s’adapter à tous les projets de tous les autres.
Le jeu de la catallaxie
En dépit de cette difficulté majeure, les choix s’opèrent, et chaque jour. C’est qu’ils se combinent entre eux, ils s’agrègent et débouchent sur des solutions que l’on ne pouvait entrevoir dans le cadre d’un décideur unique. Ce jeu, cette alchimie, s’appelle la catallaxie (un mot inventé par Richard Whateley en 1831, et abondamment repris par Hayek) : la confrontation avec les autres, l’échange d’informations nécessaires à parvenir à un accord. Concrètement la catallaxie débouche sur des signaux visibles sur un marché : les prix et les profits, qui indiquent quelles sont les bases possibles d’un échange entre individus, et qui vont donc guider leurs décisions.
La catallaxie rejetée par le socialisme
Mises dénonce toutes les fausses manoeuvres des gouvernements de son époque de nature à fausser la catallaxie et à déboucher sur des signaux mensongers : interventionnisme fiscal, restriction de la production, détermination ou limitation des prix, manipulation de la monnaie et du crédit, confiscation et redistribution, syndicalisme et corporatisme. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant de voir les crises se succéder : ce sont des crises de la désinformation économique. Cependant, la pire des désinformations est celle que les socialistes veulent mettre en place avec la planification. Mises, avec à ses côtés Hayek, démontre à la fin des années 1930, l’impossibilité du calcul économique en économie planifiée socialiste. Le planificateur, même équipé d’une batterie d’ordinateurs, est-il en mesure de reconstituer le jeu des échanges nés de la liberté de choisir et d’agir ? Certainement pas, et la seule solution pour réaliser un « équilibre macro-économique » (une autre farce) en accord avec les artifices des planificateurs est de supprimer cette liberté. Mises se révolte contre la présomption des socialistes de construire un monde nouveau et parfait. En réalité ils sont inconscients des dégâts qu’ils commettent « Après nous le déluge » a toujours été et sera toujours la vraie devise du socialisme, écrit Mises. Ce défenseur du marché et pourfendeur de la planification n’aura pas vécu assez longtemps pour se réjouir de la pertinence de ses analyses avec la chute de l’URSS, et pour saluer une des victoires éclatantes du libéralisme sur le socialisme. Mais le socialisme n’a visiblement pas disparu. On peut relire Mises !
Publié en collaboration avec Libres.org