Au début du 20ème siècle, Adolph Wagner avait formulé une « loi économique » : les dépenses publiques occupent une proportion croissante du produit national. Une nation plus civilisée appelle un Etat plus dispendieux. Mais l’explication de la loi par « la civilisation » ou par les « défaillances du marché » paraît faible. James Buchanan va expliquer le mystère : si l’Etat dépense de plus en plus, c’est qu’il y a des gens qui ont intérêt à ces dépenses. James Buchanan, un siècle après Frédéric Bastiat, va donc s’interroger sur la logique du comportement de ceux qui prennent les décisions publiques : il crée ainsi l’école du « public choice », ce qui lui vaudra le prix Nobel en 1986.
Le miracle de l’isoloir
Buchanan commence par rejeter l’idée de « l’intérêt général ». Etudiant à Chicago, il a constaté l’échec de ces économistes qui ont cherché à définir et mesurer « l’optimum collectif » (théorème d’Arrow). Est-ce surprenant ? Le vote est-il une façon d’arriver à un consensus général ? Voici un électeur ; avant d’entrer dans le bureau de vote c’est un être égoïste, occupé de ses seuls problèmes personnels. Mais l’isoloir fait de lui un tout autre personnage : le voici citoyen, et n’ayant plus qu’un souci en tête : l’intérêt général. Il ne vote pas pour lui mais pour les autres. C’est un vrai miracle. Buchanan n’y croit pas : l’intérêt général ne peut sortir des urnes.
L’électeur médian
Ce qui est vrai pour les électeurs l’est aussi pour les candidats. A quoi pensent-ils dans leurs programmes et dans leurs politiques ? Avant tout à conquérir ou conserver le pouvoir. Avec Gordon Tullock, Buchanan va découvrir le « théorème de l’électeur médian ». Si le corps électoral se divise en deux parts (gauche/droite par exemple) le succès ne peut être assuré qu’en allant chercher des voix dans l’autre camp, d’où l’intérêt de programmes passe-partout et l’attractivité du centre. L’électeur médian est celui qui fait passer de 49,9 à 50,1% des voix. C’est sur ce personnage qu’il faut concentrer son attention : quels sont ses revenus, ses croyances, ses revendications ? De même les hommes de l’Etat sont-ils sensibles aux groupes de pression (lobbies) quand leur pression peut faire basculer la majorité.
La recherche des rentes
Dans le jeu démocratique, tout le monde se comporte ainsi suivant sa propre logique, au mieux de ses propres intérêts. Comme les électeurs, ou les groupes de pression ou les hommes politiques, la bureaucratie publique a aussi des intérêts spécifiques, qui sont d’étendre son pouvoir et ses budgets. La bureaucratie n’est pas au service du public, elle en est la maîtresse (Niskanen). Les syndicats eux-mêmes sont organisés en groupes de pression, car leurs leaders sont davantage attachés à leurs avantages qu’à la défense des syndiqués ; ce pourquoi ils sont discrédités, bien qu’ils survivent en tant qu’agents électoraux. Dans ces conditions, personne n’envisage d’un bon œil la diminution des dépenses publiques, puisque bien au contraire chacun recherche son privilège, sa « niche », sa rente (revenu sans effort).
Le contrat social constitutionnel
Le jeu de la démocratie est d’autant plus dévoyé que les règles constitutionnelles peuvent y pousser. Ces règles sont dérivées d’un « contrat social ». A la différence de Hayek qui insiste sur la sélection des règles par la pratique des relations sociales, Buchanan à l’instar de Hobbes pense que les constitutions anticipent une certaine répartition du pouvoir et des richesses dont personne ne sait a priori qui en tirera avantage ou perte (« voile d’ignorance »). Voilà pourquoi tout le monde est d’accord sur les grands principes constitutionnels qui visent la défense des libertés contre le Leviathan, l’Etat totalitaire. Mais à terme la règle constitutionnelle résiste-t-elle aux intérêts particuliers ? Le cynisme de Buchanan est pris en défaut.
Publié en collaboration avec http://www.libres.org/