La contractualisation : pilier de la sécurité des terres rurales

La sécurité des terres pose problème en Côte d’Ivoire. Le gouvernement s’évertue à certifier les terres rurales du pays, mais le processus stagne et moins de 4% des terres sont actuellement immatriculées. Cela oblige à engager une réflexion sur la manière de sécuriser les terres, entre la situation actuelle et le futur incertain où 100% du territoire sera certifié. Durant cette période de transition, il faut s’interroger sur la notion même de sécurisation. La certification est-elle la seule voie ?

La certification sécurise-t-elle les terres rurales ?

En Côte d’Ivoire, la certification est la première étape à franchir pour l’obtention d’un titre foncier. Cette phase permet de reconnaître et d’enregistrer les droits des propriétaires coutumiers. C’est la confirmation officielle d’un droit déjà existant. Il convient cependant de souligner que cette phase est très sensible et que, si elle est menée trop rapidement, sans réelle implication des sachants[1] du village, elle peut  devenir une bombe à retardement. La phase de clarification des droits doit être faite non seulement sérieusement mais sans précipitation et sans pression sur les autorités villageoises, au centre desquelles les Comités villageois de gestion foncière rurale, qui parfois, compte tenu de leur méconnaissance des procédures de certification peuvent accepter d’être marginalisés durant l’enquête alors qu’ils devraient être au centre. Car un certificat foncier aura bien peu de poids s’il n’y a pas de consensus au sein du village pour le reconnaître. Une chose est claire, le certificat foncier est une source de sécurisation sous réserve d’une bonne clarification des droits. Sans quoi le certificat peut être source de conflits. En réalité, la phase de clarification procure la légitimité indispensable à la légalité du certificat foncier. La reconnaissance sociale des droits, qui découle de la clarification et débouche sur le certificat foncier, renforce la sécurité de son détenteur.

D’où viennent les conflits ?

Les sources des conflits fonciers sont multiples. De nombreux litiges naissent au sein même des familles et s’apparentent plus à des problèmes de successions qu’à des problèmes directement liés à la terre, bien que les deux soient liés au final. Une autre source importante provient du manque de clarté entre les propriétaires coutumiers et les exploitants des terres. Le manque de formalisme conduit souvent aux litiges avec le temps.

La tradition d’accueil de la Côte d’Ivoire fait que de nombreux migrants ont obtenu des terres d’autochtones pour les cultiver. Les conventions passées entre eux sont très diverses et vont du don à la location, sous de multiples formes qui varient en fonction de l’aire culturelle. Ces transactions sur des terres coutumières ont été, le plus souvent, passées oralement mais parfois reposent sur des contrats écrits plus ou moins clairs. Cela pose un problème de fiabilité. Aujourd’hui dans un monde en pleine mutation où un marché foncier est en train d’émerger en Côte d’Ivoire, où l’oralité a de moins en moins sa place, les contrats écrits, souvent appelés « petits papiers » sont déjà un début de sécurité qu’il ne faut pas marginaliser. À Guiglo, par exemple, les villages pilotes de notre programme Acteur Communau’Terre, comptent  3 à 5 propriétaires coutumiers chacun et le nombre d’exploitants oscille entre 2000 et 3000 par village. Ces chiffres permettent de comprendre l’importance de la contractualisation.

Massifier la contractualisation

La direction du foncier rural a bien conscience de l’importance des contrats et met d’ailleurs à disposition des propriétaires de terres certifiées six modèles de contrats pour les inciter à clarifier les droits entre propriétaire et usager. Cependant, ces contrats sont réservés aux seules terres rurales certifiées qui représentent moins de 4% de l’espace rural. C’est certes une goutte d’eau mais c’est déjà un pas. Nombre de juristes défendent l’idée de réserver la contractualisation aux terres certifiées. La logique semble imparable : sans certificat foncier on ne peut pas être certain que le propriétaire coutumier soit le bon donc il y a un risque. C’est logique. Mais dans la pratique, dans la « vraie vie », que faire des 96% de terres non certifiées ? Doit-on imposer la certification et en faire un préalable absolu ? Ce serait la solution si seulement les villageois pouvaient en supporter le coût écrasant[2]. Comment faire? Doit-on rester dans le flou ? Suspendu entre le droit et le fait ? Alors que la sécurité passe aussi (même pour les terres certifiées) par le contrat.

Le droit ivoirien autorise et reconnait le contrat. Cette base légale minimale permet un contrat entre propriétaire et usager. Certes, on peut dire que ce contrat comporte un risque : le risque que le prétendu propriétaire coutumier (partie au contrat) ne soit pas le vrai propriétaire. Cependant, comparé au risque d'une transaction orale vague et imprécise, la réponse s'impose: il faut faire la promotion de la contractualisation pour réduire les risques sur ces conventions. C’est urgent quand on évalue l’impact sur la réduction des conflits, la cohésion sociale, l’investissement et donc la création de richesse. De nombreux petits papiers sont signés sans certificat foncier et peuvent améliorer la sécurité immédiatement, s’ils sont crédibles.

Comment crédibiliser les contrats sur des terres non certifiées ?

Sensibilisation : Pour qu’un contrat soit fiable, il doit comporter un certain nombre de points : la désignation claire des parties, l’objet (le terrain concerné), la durée, etc. Ainsi, dans une logique de sécurité, au-delà de la campagne de sensibilisation à la certification foncière, il faut aussi faire une sensibilisation à la contractualisation comportant des recommandations claires, sur les points essentiels que doit comporter un contrat. La télévision et les radios locales peuvent toucher massivement les villageois. La Chambre Nationale des Rois et Chefs Traditionnels pourraient également, par le biais de son fin maillage territorial, faire parvenir aux chefs de village des fiches de recommandations claires pour la contractualisation.

Comités villageois de gestion foncière rurale (CVGFR) en action : De plus, au sein des villages, les CVGFR (organes créés par un décret d’application de la loi foncière 98-750 du 23 décembre 1998) peuvent jouer un rôle important dans l’amélioration de la qualité des contrats. Au lieu de les solliciter seulement pour les rares procédures de certification, ils peuvent devenir, avec un minimum de formation, des conseillers à l’élaboration de contrats clairs et à leur archivage. D’ailleurs, la loi les place au cœur de la procédure de certification foncière, qui permet d’identifier clairement le détenteur de droit cela veut dire que dans le cadre des conventions, ils pourront aussi jouer ce rôle et donc crédibiliser le contrat.

Les nouvelles technologies : L’archivage étant une clé de la sécurité, un simple smartphone équipé d’un logiciel de scanner gratuit permet de doubler la procédure d’archivage : numérique et papier.  Mieux vaut deux qu’un !

Pourquoi c’est important ?

Dans un pays où les propriétaires sont en nombre infiniment faible par rapport au nombre d’usagers ; dans un pays où l’accès à la propriété des terres rurales -pas l’accès aux terres elles-mêmes- est réservée aux nationaux (article 12 de la constitution de 2016); dans un pays de forte migration réputé terre d’accueil, où seule une infime partie des terres rurales sont certifiées ; dans un pays où émerge peu à peu un marché foncier et où la pression foncière est forte du fait de la croissance démographique ; il est crucial de faire une forte promotion de la contractualisation. La sécurité des terres rurales ivoiriennes passe donc par deux piliers : la massification de la certification et de la contractualisation (sur les terres certifiées ou non). Le combat est donc double. La bonne nouvelle est que la contractualisation a un coût abordable pour tous et est facile à mettre en œuvre.

Hermann Hokou, directeur du Comité scientifique de Audace Institut Afrique. Février 2018.


[1] Par sachants, nous entendons les individus qui ont une bonne connaissance des terres des villages.

[2] Coût variable revenant en moyenne au revenu annuel d’un foyer en zone rurale pour 2 hectares.