Afrique : pourquoi le changement ne peut-il pas venir de l’état ?

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Il n’est pas exagéré de dire que l’Africain moyen a tendance à blâmer son gouvernement pour son malheur social (pauvreté, manque d’éducation, etc.) et en même temps pense que celui-ci est la solution. Mais cette attitude paradoxale est-elle réaliste ?

Bien qu’il y ait probablement une part de vérité dans cette affirmation, l’ancien Président américain Ronald Reagan avait certainement raison de dire que "Le gouvernement n’est pas la solution à notre problème, mais le gouvernement est le problème". Cette boutade est empiriquement corroborée par de multiples exemples à travers l’histoire de l’humanité. Les sociétés libres et prospères que nous convoitons ont toujours été engagées dans un combat contre la gourmandise de l’état prédateur. Il est donc temps que les Africains se rendent compte que le changement tant attendu du sommet ne viendra certainement jamais. Il faut plutôt l’arracher.

Des intérêts diamétralement opposés

Les dirigeants d’un état ne donneront jamais satisfaction aux aspirations profondes du peuple car par définition ils ont des intérêts antagonistes. D'un côté nous avons les citoyens qui veulent un gouvernement réactif qui leur donne leurs politiques préférentielles, et de l'autre, des dirigeants politiques qui souhaitent conserver autant de ressources publiques que possible pour leur usage privé. Bueno De Mesquita, professeur de sciences politiques à l'Université de New York, et ses collègues dans leur ouvrage phare intitulé La Logique de la Survie Politique expliquent pourquoi nous constatons une si grande variation des performances dans les régimes politiques. Ils affirment que la principale différence entre ces régimes réside dans la taille de la coalition gagnante, c’est à dire le groupe de personnes dont le soutien est nécessaire pour que le chef de l’état conserve son pouvoir. Dans une démocratie, il s'agit de la majorité. Dans une dictature ou régime hybride, il peut s'agir d'officiers militaires de haut rang, d'élites politiques ou économiques, etc. Ils partent de la prémisse que ce qui importe le plus aux dirigeants, c'est de garder leurs postes. C’est une hypothèse raisonnable qui trouve un appui empirique considérable, en particulier dans les pays africains. Pour atteindre leurs objectifs, les dirigeants politiques préféreront toujours la plus petite coalition gagnante possible, afin de pouvoir acheter leur loyauté avec le minimum de biens privés possibles. Cela leur donne une discrétion sur le reste des ressources extraites de la population pour leur usage personnel.

Dans une démocratie qui fonctionne correctement, un chef d’état ne peut pas se permettre de fournir des biens privés à chaque citoyen dont il a besoin du vote pour être réélu, car cela coûterait trop cher. Le seul moyen de s’en sortir est alors d'élaborer des politiques publiques qui plairont à son électorat et qui en retour votera pour le maintenir en poste. Mais comme les politiques publiques sont des biens publics dans la vaste majorité des cas, tout le monde en profite mêmes ceux qui ne sont pas de son bord politique. Dans un régime dictatorial ou hybride par contre, il est toutefois plus facile d’acheter un groupe d’élites et d’ignorer les citoyens, car ils ont peu d’influence. Cela explique clairement pourquoi certains gouvernements produisent de bonnes politiques publiques et d’autres pas. Vous pourriez être tenté de dire mais nous avons des dictateurs bienveillants, des leaders comme Lee Kuan Yew de Singapour et Paul Kagame du Rwanda, qui ont produit de bons résultats économiques et sociaux étant sous des régimes non démocratiques. Cependant, ces cas sont des exceptions plutôt que la règle. De plus, ils ont une raison politique de faire ce qu'ils ont fait. Nous comprenons donc que la population n’est pas la priorité des dirigeants politiques. S'ils sont réceptifs, c'est uniquement parce qu'ils ont besoin de la population pour rester au pouvoir. Il en résulte que si les Africains n’exercent aucune pression sur leurs dirigeants, ils ne devraient pas être surpris des résultats médiocres de leurs politiques. C'est parfaitement logique car, par définition, les deux groupes d'acteurs ont des intérêts opposés.

Le problème de l'action collective

Sur la base de la réalité décrite ci-dessus, de nombreuses personnes diront probablement que le peuple est souverain et si nous pensons que trop c’est trop, nous nous mobiliserons pour destituer le leader, comme ce fut le cas au Burkina Faso en 2014. La question cependant est combien de ces mobilisations réussies avons-nous vu jusqu'à présent ? En réalité, il est plus difficile de se mobiliser pour une cause, même commune, que beaucoup de personnes le croient. Le célèbre politologue et économiste Américain Mancur Olson, a démontré dans son livre The Logic of Collective Action (La logique de l'action collective) que la mobilisation populaire est extrêmement difficile, car les groupes sont soumis à ce qu'il appelle le problème de l'action collective. En effet, chaque personne veillera la plupart du temps sur ses propres intérêts et préférera toujours jouir du bien commun sans en payer le coût. S'il pense que d'autres personnes peuvent faire le travail et qu'il profitera librement des avantages, il le fera toujours. Ce n'est que lorsque les individus pensent que leur contribution est la dernière chose nécessaire pour que quelque chose se produise qu'ils contribueront. Comme la bonne gouvernance est un bien public, elle est sous la malédiction du problème de l'action collective. Il est très coûteux de manifester, en particulier en Afrique. Vous pourriez être tué, mis en prison ou perdre une partie de votre temps précieux dans le meilleur des cas. Il existe également le problème de l'asymétrie de l'information et de la falsification des préférences, de sorte que les personnes ne savent pas quand leur contribution sera nécessaire à faire tomber un chef qui ne sert pas la population. Dans la plupart des cas donc, une mobilisation populaire échouera à cause du problème de l'action collective.

La majorité des transitions politiques n’aboutissent pas à une démocratie fonctionnelle

Contrairement au sophisme transitionnel et la croyance populaire, une transition politique n'est pas synonyme d'un meilleur lendemain politique. La plupart des transitions politiques d'un régime dictatorial aboutissent à un nouveau dirigeant sous le même système ou à un nouveau dirigeant doté d'une nouvelle forme de dictature. Beaucoup de personnes étaient dans l'euphorie après le Printemps Arabe. Mais a-t-il produit de meilleurs régimes ? Dans la plupart des pays c’est le même système avec de nouveaux dirigeants, comme c'est le cas en Égypte, où le président consolide le pouvoir autour de lui progressivement. Il est temps que les Africains se rendent compte qu'un changement à la tête de l'État n'est pas la solution, mais seulement le début. Nous devrons insister comme au Soudan pour que les candidats qui ont pour objectif de remplacer le dirigeant sortant et de conserver le même système comprennent que les citoyens ne commettront pas la même erreur deux fois.

Regards vers le futur

Mais est-ce à dire que tout espoir est perdu pour le peuple africain ? non ! Bien au contraire, ceci est un appel à redoubler d’efforts et surtout prendre les choses en main pour se débarrasser des chefs d’états et gouvernements qui prennent la chose publique pour une propriété privée. À cette fin, nous, Africains, avons plusieurs instruments à notre disposition pour établir un nouveau modèle de gouvernance et changer l'image que le monde a de nous.

Ayons un seuil révolutionnaire bas.

Les recherches menées par le Turco-Américain Timur Kuran à l’Université de Duke ont montré que chaque personne a un seuil révolutionnaire auquel elle ne peut plus supporter un dirigeant ou un régime et est donc prête à tout donner pour un changement. Chacun de nous a un seuil différent. Par exemple, une personne dont la famille est assassinée ou emprisonnée par un régime politique aura probablement un seuil bas et sera prête à se battre pour obtenir un changement à chaque petite opportunité par rapport à une personne qui n'a pas eu cette expérience. Espérons donc qu’après des décennies de mauvaise gouvernance, de despotisme, d’assassinats politiques, de systèmes éducatifs catastrophiques et de terribles politiques économiques, l’Africain moyen atteigne un seuil révolutionnaire où il pense qu’il est temps de prendre les choses en main et appeler à un renouveau politique. Il est grand temps que nous arrêtions de tolérer les dirigeants politiques médiocres, de dormir sur nos lauriers et être des victimes éternelles. Ayons un seuil révolutionnaire bas dans notre vie quotidienne en dénonçant la corruption endémique qui ruine nos sociétés. Cessons de voter par affinités ethniques et de penser que les dirigeants méritent plus le bien-être matériel que la population.

Éducation

Enfin, bien que ce soit désormais un cliché, il est opportun de réitérer que l’éducation est la pierre angulaire de ce changement. Comme le Japonais Fukuzawa le disait pendant l’ère Meiji dans son appel à l’éducation, les populations ont les dirigeants qu’elles méritent. L'éducation est probablement de loin la solution qui nous permettra d'acquérir la compréhension et le courage nécessaire pour réécrire notre histoire. L'éducation nous apprendra que les libertés individuelles sont essentielles. L’éducation nous permettra de comprendre des penseurs brillants comme John Locke et Frédéric Bastiat qui nous enseignent que la responsabilité de l’État se limite à ce que nous lui avions demandé de faire en commençant par notre protection physique et la protection de notre droit de propriété. L'éducation nous aidera à comprendre que la capacité de décider par soi-même est meilleure que de laisser les gouvernants décider à notre place prétendant qu'ils savent ce qui est mieux pour nous que nous-mêmes. Enfin, l’éducation nous ouvrira les yeux sur le fait que les sociétés les plus prospères économiquement comptent des citoyens qui prennent des initiatives pour créer de la richesse et n’attendent pas que le gouvernement crée des emplois en utilisant l’argent qu’il nous a volé.

Donatien ADOU, membre du Comité scientifique de Audace Institut Afrique. Doctorant en Sciences Politiques à l’Université du Missouri-Columbia.