L’art méconnu de « finir et partir » !

L’art presque perdu de ne rien faire : C’est le titre d’un livre de Dany Laferrière, titulaire du fauteuil américain de l’académie française. Il ne pensait pas si bien dire ou plutôt écrire. En y réfléchissant, il y a un autre art dont on ne peut dire qu’il est seulement perdu, il est méconnu : l’art de finir et partir.

Un art transversal 

C’est l’art de parachever un travail, un contrat, de finir une mission, un mandat… L’art de couronner son œuvre, de la meilleure manière, au meilleur moment, pour partir ! Passer le relais et se retirer. Pour l’artiste, c’est tout un art de partir ; en laissant derrière soi, sur la scène, des regards songeurs, des yeux éblouis, des mains qui applaudissent à tout rompre, des pieds qui dansent encore ou des cœurs qui se répandent en pleurs.

Un art des artistes intemporels

Tout romancier sait l’importance de l’épilogue. Les poètes ne savent que trop l’importance de la chute d’un texte lyrique, le dernier vers  sacré ! Les peintres n’ignorent pas que les derniers coups de pinceaux sont décisifs ! Les sculpteurs comprennent bien que le coup de burin final est fatal ou vital. Combien d’architectes n’ont pas mis tout leur génie dans la pose de la clef de voûte ? Tout musicien sait le sens de l’expression « finir en beauté » ! Les dramaturges révèrent la chute de rideau finale. La fin triomphale, magistrale…est une obsession permanente de tout artiste. L’art voue un culte séculaire à l’apothéose ! Même s’il se sait un virtuose, tout artiste prépare minutieusement ce moment grandiose : Finir et partir en beauté !

Mais pourquoi les non–artistes n’ont-ils que faire de cet art de savoir partir, de bien finir? L’avidité, l’immédiateté, le regard court et lucratif, empêchent souvent cette hauteur d’esprit, cette élévation ultime, cette aspiration intime à vouloir laisser des traces… Toucher, marquer, troubler, influencer sans s’imposer -à la seule force du talent travaillé- et surtout transcender, subjuguer ! Or, il faut partir, pour permettre aux autres d’étudier les traces laissées et déceler son génie. Partir, avec la seule satisfaction de s’être adonné à son art, de s’être donné pour son public.

Un art mésestimé en politique

Et si le public était le peuple ? Savoir partir ! Savoir finir ! Redisons-le, cet art est méconnu. Mais, si le mal est généralisé (Sepp Blatter étant la dernière victime médiatique de ce mal), il faut reconnaitre qu’il s’est métastasé dans le cercle des présidents africains. Certains ont appris cet art à leur dépend : Hosni Moubarak, Ben Ali, Blaise Compaoré… Mais, ils sont légion, ceux qui méconnaissent encore cet art de finir et partir : Denis Sassou-N’Guesso, Joseph Kabila, Pierre Nkurunziza, José Eduardo Dos Santos, Teodoro Obiang Nguema, Paul Biya, Robert Mugabe, Omar El-Béchir… La litanie est longue pour le seul continent africain. Car bien d’autres, comme Paul Kagamé, se préparent à mépriser cet art de finir et partir. Peut-être, tous les parvenus-présidents se prennent-ils pour Roosevelt ? Les politistes doivent avoir la réponse.

Toutefois, nous avons vu, nous autres simples citoyens, des hommes, faits de chair et d’os, exercer cet art avec mérite et brio : Havel Vaclav ailleurs, Mandela ici, sur la terre africaine ! Mais que de leçons oubliées, d’histoires enterrées, d’exemples inimités.

Un art Universel et pluriel

Que faire ? Pour chacun d’entre nous, dans notre entreprise ou atelier, dans notre équipe de football ou dans notre association de quartier, de voisines… Chacun, à sa place, doit guetter le bon moment, attendre le vent propice, être attentif, pour ne pas manquer la meilleure et première occasion de partir ! Non seulement pour donner une chance aux autres, mais aussi pour être plus productif, en évitant le surplace déprimant, les rêves ankylosés, l’illusion de notre éternité et autres pathologies du sédentarisme. Savoir partir ! En son temps, à temps, pour nous donner la Liberté d’oser d’autres combats, de poursuivre d’autres challenges, de changer de référentiel, de nous inventer un autre ciel.

Partir, c’est grandir !

Tout être vivant est doté d’un dynamisme, les plantes poussent, les hommes bougent. Grandir pour la plante, ce n’est pas seulement prendre des centimètres de plus ; les botanistes le savent. De même pour l’homme, grandir, ce n’est pas accumuler les ans ou les titres ou l’argent. C’est bien plus immanent, bien plus transcendant ; c’est grandir au-dedans de son être, au-delà du paraître. Sans le prendre au mot, disons que tout Homme est voyageur… sédentaire, il s’enterre : Il faut savoir partir !

Par Andy KURTIS, analyste pour Audace Institut Afrique.