Et si la Côte d’Ivoire s’inspirait du modèle libéral allemand ?

 

On avait parlé de miracle allemand après la guerre, dans les années 1950. Cette économie, totalement détruite au cours du conflit, avait connu une remarquable croissance, au point d’accéder au rang de premier exportateur mondial. En fait, il n’y avait aucun miracle, mais la simple application des principes économiques du libre fonctionnement du marché. En 2010, au sein d’une zone euro en stagnation économique, c’est encore l’Allemagne qui semble s’en sortir le mieux. Nouveau miracle ? Tout simplement un peu plus de liberté économique que chez ses voisins. Certes l’Allemagne est loin d’être un champion du libéralisme, mais, dans une Europe dominée par l’interventionnisme, Berlin fait presque figure d’îlot de liberté. Cela suffit à faire la différence.

 

 

 

Chaque pays a, certes, des recettes qui ne sont pas forcément exportables mais cette expansion de l’Allemagne par le choix de politiques libérales interpelle. Les similitudes entre l’Allemagne d’après guerre et la Côte d’Ivoire d’aujourd’hui ne peuvent  qu'interroger. La Côte d’Ivoire, coupée en deux, en pleine crise politique, affaiblie économiquement pourrait trouver une voie salutaire dans un modèle libérale. D’autant que l’on sait que, dans le monde, l’accroissement des libertés est toujours lié au progrès et donc au recul de la pauvreté. L’analyse que fait Jean-Yves Naudet du « miracle allemand » pourrait efficacement inspirer la Côte d’Ivoire pour sa sortie de crise. Le premier miracle allemand : le marché, les prix libres et la concurrence Au lendemain de la guerre provoquée par l’expansionnisme nazi, l’Allemagne était un pays totalement détruit sur le plan économique et politique. Un pays occupé, à l’Est par l’armée rouge, ce qui allait donner l’Allemagne de l’Est communiste (RDA), à l’Ouest par les occidentaux avec les zones américaine, anglaise et française qui allaient donner l’Allemagne fédérale(RFA). Dans un pays détruit, les déséquilibres étaient considérables, entre une offre inexistante et des besoins nombreux. Le conseil donné par les occidentaux était simple : bloquer les prix, pour éviter l’explosion inflationniste.
Les chrétiens démocrates allemands, et en particulier le responsable des questions économiques, le futur chancelier Ludwig Erhard, étaient d’une autre opinion : il fallait libérer les prix. Ils ont aussitôt monté, mais cela a permis de rendre aux prix leur rôle d’indicateurs de rareté, donc d’incitateurs : l’offre a progressé, le prix élevé étant une forte incitation à produire, puisque cela permettait de dégager des profits. Cette progression de l’offre a peu à peu calmé les prix, réduit l’inflation, surtout avec la politique monétaire rigoureuse de la Bundesbank, et la concurrence a fait le reste. Le miracle allemand était né. Il n’avait rien de mystérieux, mais tenait à la redécouverte du rôle du marché, des prix libres et de la concurrence. D’où une croissance sans inflation, alors que la France, avec des prix contrôlés par l’Etat, connaissait plus d’inflation qu’une Allemagne aux prix libres.[…] Le champion de la zone euro Le monde a changé depuis cette époque, et l’économie libérale a fait la preuve de sa supériorité avec les pays émergents, comme le montrent les indices de liberté économique. Pourtant les pays développés en général, et la zone euro en particulier, ont indiscutablement des problèmes de croissance : celle-ci devrait être en moyenne de 1,7% seulement cette année 2010. L’Allemagne n’échappe pas à cette langueur générale, mais ses résultats sont bien supérieurs à ceux de l’ensemble de la zone euro, et de la France en particulier. C’est ainsi que pour 2010, la croissance du PIB devrait être de 3,4%, soit le double de celle de toute la zone et de la France en particulier. Les cinq sages qui conseillent officiellement le gouvernement ont même rectifié ce chiffre à 3,7%. Leur rapport s’appelle d’ailleurs « chances pour une reprise stable ». Le contraste est saisissant par rapport à 2009 où le PIB avait reculé de 4,7%. Pour 2011, les prévisions sont moins optimistes, mais ce sera au moins 2%. Le chômage ne cesse de reculer et il est tombé en dessous de la barre des trois millions en octobre, du jamais vu depuis 1992 (il était de 5 millions quand Angela Merkel est arrivée au pouvoir). Les prévisions font état d’une poursuite du recul du chômage en 2011, même si la croissance était plus faible. Ceux qui travaillaient à temps partiel ont recommencé déjà à
travailler à temps complet. L’Allemagne fait état d’une pénurie de main d’œuvre dans certains secteurs et on envisage un allongement de la durée du travail : 45 heures pourraient même devenir la norme selon certains chefs d’entreprise. De toutes façons la loi permet déjà de travailler jusqu’à 48 heures. Entre 300 000 et 500 000 postes ne trouvent pas preneurs… Un vrai marché du travail et une ouverture extérieure Faut-il parler à nouveau d’un miracle allemand ? En réalité, il y a l’application de quelques mesures simples. La question de l’emploi a été réglée depuis longtemps, dès l’époque du social-démocrate Schröder, par les mesures telles que les quatre lois Hartz, qui ont donné de la souplesse au marché du travail, réduit le coût du travail, créé de la flexibilité, permis une hausse de la population active, alors même que la population globale diminuait. Les Allemands ont simplement considéré que le marché du travail était…un marché. Et le coût de la main d‘œuvre a augmenté de 2% en six ans contre une moyenne de 18% ans dans l’Union européenne. La compétitivité est au cœur des préoccupations allemandes. Ensuite, il y a eu le choix allemand, toujours maintenu (et encore rappelé au G20 par la chancelière) de l’ouverture des frontières, du refus du protectionnisme et de l’acceptation totale de la mondialisation. Très compétitive, l’économie allemande est tournée vers les demandes des pays dynamiques et notamment des pays émergents. Toute l’intelligence de cette situation est d’avoir misé sur la reprise mondiale, indiscutable dans tous les pays émergents et d’abord en Chine et en Inde : les excédents extérieurs allemands connaissent de nouveaux records, au moment où la France accumule les déficits. Le vrai moteur de l’économie allemande, ce sont les exportations (elles représentent 35% du PIB allemand). Les exportations (en hausse de 15,3% cette année) tirent la croissance. Cela implique de rejeter tout protectionnisme, de jouer le jeu des échanges et de cesser de se plaindre de l’euro fort : avec le même euro, les Allemands sont en excédent et nous en déficit. Le refus du laxisme budgétaire Enfin il y a le volet des finances publiques. Il est admis par la vulgate keynésienne véhiculée par les médias et la plupart des hommes politiques, que la relance keynésienne de 2009 allait sauver nos économies du désastre de la récession. Un an plus tard, les pays, Europe en tête, pleurent après les déficits excessifs, qui ont ruiné la Grèce, puis l’Irlande, en attendant les autres. Pour l’instant, on les règle à coup d’aides, c'est à-dire de nouvelles dettes, les pays plus solides aidant les plus fragiles, en attendant que ces nouvelles dettes les fragilisent à leur tour : on soigne le mal par la mal. Mais nos admirateurs de la secte keynésienne persistent dans l’erreur : nos confrères titrent presque tous, Monde en tête, que « les experts redoutent que les plans de rigueur cassent la relance », alors que c’est le laxisme monétaire, puis budgétaire qui a provoqué la crise. Or qu’a fait l’Allemagne ? Elle a refusé la relance massive pratiquée partout ailleurs. Résultat : cette année, l’ensemble des déficits publics allemands (y compris ceux des retraites et de l’assurance maladie) tombera à 2,4%, soit en dessous du critère de Maastricht.
Un keynésien peut-il expliquer comment, avec un déficit faible, l’Allemagne a la plus forte croissance de la zone euro, tandis que les pays à forts déficits comme l’Irlande, la Grèce ou la France, ont la plus faible croissance ? La crise de 2009 a été créée par le laxisme monétaire ; et les déficits actuels par le laxisme budgétaire. Si l’Allemagne s’en sort, c’est parce qu’elle refuse ces politiques de relance. Ajoutons que l’Allemagne, sans être un pays de faible imposition, a par exemple un taux d’impôt sur les sociétés de 29,4% contre 34,4% en France, taux le plus élevé de l’Union européenne. Quant aux charges sociales, la différence est de 9 points entre Allemagne et France. Les entreprises allemandes s’en portent-elles plus mal ? La protection sociale est-elle moindre chez nos voisins ?
Faut-il parler de « modèle allemand » ?

Sans doute l’Allemagne pourrait-elle faire mieux encore si elle allait plus loin dans la voie du libéralisme. Mais pour l’instant, et par  comparaison avec la France, l’Allemagne se contente d’accepter l’économie de marché et sa logique, la concurrence et le libre-échange, la liberté des prix et le marché du travail, le tout avec une certaine rigueur budgétaire. L’Allemagne a rejeté étatisme et keynésianisme. Par Jean-Yves Naudet, éminent économiste français. Il enseigne à Sciences Po Aix et à la faculté de droit de l'Université Aix-Marseille III. Il est membre du collège des personnalités qualifiées d’Audace Institut Afrique.

Article publié en collaboration avec Libres.org