Alors que la Côte d’ivoire sort d’un processus électoral sanglant, les médias vont avoir un rôle central à jouer dans le processus de réconciliation et dans la construction d’une véritable démocratie en Côte d’Ivoire. En effet, l’élection est une étape privilégiée dans la vie d’une nation puisque c’est le seul moment où les dirigeants se retrouvent directement face aux populations mais ce n’est en fait qu’un fragment du processus démocratique. Une démocratie qui se limiterait à un bulletin dans l’urne pourrait s’avérer tyrannique si elle n’était enrichie de contre-pouvoirs et de libertés. Au cœur du contre-pouvoir, les médias ont une mission importante à jouer dans ce moment clé de la vie du pays. Gisèle Dutheuil, directrice d’AIA, a insisté au cours de cette rencontre sur le principe de la liberté de la presse qui est un pilier de la démocratie. Ainsi, en cas de crise grave comme celle que vient de vivre la Côte d’Ivoire, la liberté de la presse doit être un combat pour tous. On ne peut se réjouir du silence d’une frange de la presse victime, ça reviendrait à se tirer une balle dans le pied car la roue tourne inexorablement. Les victimes d’aujourd’hui auront les faveurs demain. Il est important de ne pas mélanger les sentiments et les fondamentaux. Je n’aime pas ce que tu écris mais je me bats pour que tu aies le droit de l’écrire. Lorsqu’une frange des médias est fragilisée c’est donc l’ensemble de la profession qui devrait le dénoncer pour préserver le fondement de la liberté de la presse, essence de la démocratie. Mam Camara, Président de l’UNJCI a fait ensuite le bilan des entreprises de presse endommagée lors des derniers épisodes de violence et constate que certains journaux sont toujours contraints à vivre dans la clandestinité. Il a appelé chacun à la responsabilité et au désarment des plumes pour gagner en crédibilité auprès des lecteurs. « La plus grande protection d’un journaliste c’est son professionnalisme » a-t-il conclu. François N’Dengwé, économiste, directeur de African Advisory Board, entreprise de consulting spécialisé dans le développement économique et stratégique de l'Afrique, analyste d’Audace Institut Afrique, a ensuite abordé le cœur du sujet : le contre-pouvoir. Si le contre-pouvoir est indispensable c’est que naturellement le pouvoir a tendance à être vorace. Il est donc important d’encadrer l’action des dirigeants pour éviter ou dénoncer tout abus. Les médias doivent informer, éduquer, enquêter, alerter et aider à unir les populations. Sur quoi baser la déontologie des médias ? Selon cet économiste, elle repose sur ce qu’il appelle le pentagone, c'est-à-dire cinq points essentiels : Le respect du droit qui entraine des contraintes mais également une protection ; Les associations professionnelles qui permettent efficacement de défendre leurs membres, d’autant que le corporatisme est une union professionnelle qui écarte les considérations politique et ethnique ; L’obligation de connaissance, à travers la formation continue mais également l’utilisation des statistiques car les chiffres appuient efficacement et objectivement une analyse ; La logique et l’éthique sont les derniers points de ce pentagone. Et il appelle particulièrement à la vérité, cette dévotion à la vérité, gage de la crédibilité. Il a terminé son propos en appelant les journalistes à un contrôle de la qualité de leurs journaux pour ne pas être complaisants avec eux-mêmes et pour connaitre, par le biais de la statistique, l’opinion des lecteurs. C’est dans la critique que l’on peut grandir et se perfectionner. Une entreprise de presse ne peut se passer de cette évaluation. Toutes ces pistes de réflexions tendent à créer un contre-pouvoir fort dans le pays. Au cours des échanges, diverses préoccupations ont été soulevées par les participants dont la difficulté de s’écarter de la ligne éditoriale de leurs journaux. Certains s’interrogeaient : « Peut-on allier les médias d’Etat et la mission de contre-pouvoir ? » Selon François N’Dengwé, être média d’Etat n’oblige pas à s’enchaîner. Il a alors donné l’exemple de la radio anglaise BBC, média d’Etat à 100% et d’une qualité inégalée.
A propos de la nécessité d’assoir les analyses sur des statistiques, l’un des participants a exprimé ses doutes car la culture du secret dans le pays, alliée à une hiérarchisation excessive et rigide de l’administration rendent la tache extrêmement difficile à quiconque recherche des données pour fonder une analyse construite.
Les problèmes financiers sont également au centre des préoccupations des journalistes dont les salaires restent anormalement bas. La directrice d’AIA a alors mis en avant l’intérêt d’une politique libérale dans le pays qui permettrait de briser le monopole d’Etat de la distribution et de grossir ainsi la marge des entreprises de presse qui pourraient mieux rémunérer leurs journalistes.
Première partie : Le rôle des médias
Partie 2 : La notion de séparation des pouvoirs
Partie 3 : La déontologie
Partie 4 : Le contrôle de la qualité des médias