Les institutions ivoiriennes permettent de manière très heuristique, une comparaison avec les institutions françaises et ceux pour deux raisons:
La première est que l’ancienne « mère-patrie » a légué, au moment de l’indépendance, son modèle constitutionnelle à ses anciennes colonies ; ensuite parce que la Côte d’Ivoire est un pays francophone. Il est d’ailleurs intéressant de voir dans quelle mesure la Constitution française de 1958, dans son texte originel et dans sa pratique, a vraiment influé sur les institutions ivoiriennes successives. Sachant que la constitution française de 58 n’est nullement libérale, au même titre que la pratique des institutions, cela laisse présager des caractéristiques du texte ivoirien.
C’est dans les deux dimensions libérales de toute constitution que les institutions ivoiriennes seront jaugées : la protection de la sphère de la société civile d’abord et l’équilibre des fonctions de l’Etat ensuite.
La protection de la sphère de la société civile
Si l’on souhaite respecter les principes libéraux, on doit s’attacher essentiellement à la protection de la sphère de la société civile. C’est d’ailleurs ce qui doit être analysée en premier lieu dans le préambule de la Constitution ivoirienne.
Ce préambule est tiré de deux documents antilibéraux que sont la déclaration universelle des droit de l’homme de 1948 qui est d’inspiration marxiste et elle y ajoute la charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981.
Notons que c’est seulement en 15ème position que se trouve garanti « à tous » le droit de propriété ; c’est seulement en 16ème position que se voit consacré le droit de tout « citoyen » « à la libre entreprise », alors que ces principes, fondement du libéralisme auraient dû être prioritaire dans cette constitution.
Les prétendus devoirs de l’Etat, énoncés en termes sirupeux, sonnent avant tout comme des limitations de la liberté des individus ou telle une épée de Damoclès au-dessus d’eux.
En bref, la Constitution ivoirienne de 2000 ne protège pas de manière tangible la sphère de la société civile par rapport à celle de l’Etat.
L’équilibre des fonctions d’Etat
En ce qui concerne l’équilibre des fonctions de l’Etat, on constate que le Président de la République ivoirien cumule les pouvoirs tirés de la Constitution française de 1958 et de sa pratique, tout en y ajoutant un certain nombre d’attributions dont se trouvent dotés les présidents américain et tunisien. L’article 41 marque sa puissance : il est le « détenteur exclusif du pouvoir exécutif » Le Président a l’initiative des lois concurremment avec les députés, il est le chef de l’administration, le chef suprême des armées, etc.
En clair, il est difficile d’imaginer un président démocratiquement plus puissant. Sachant que tout libéral se méfie, par définition, du pouvoir personnel, il est aisé de comprendre qu’il puisse être déboussolé à la lecture du texte ivoirien. L’influence du Président de la République dans la fabrique de la loi est notable et elle permet de comprendre aussitôt que la définition du régime présidentiel comme un régime de « séparation stricte des pouvoirs » n’est rien moins qu’absurde. Les dispositions de la Constitution relatives au Conseil constitutionnel ne sont pas de nature à rassurer, non plus. Le Président de la République a dans le texte – sans parler de la pratique - la haute main sur cet organe dont il nomme le Président et trois des six conseillers. Idem pour le pouvoir judiciaire, c’est en effet lui qui est « garant de l’indépendance de la magistrature ». Comme une sorte de loup dans la bergerie il « préside le Conseil supérieur de la magistrature » en vertu de l’article 104. Un Conseil dont il nomme d’ailleurs trois membres.
Au vu de tout ce qui précède, il serait difficile voir inamissible de dire que la constitution de côte d’ivoire est libérale bien au contraire elle est marquée par une omniprésence d’un Etat trop fort qui écrase les populations. Les institutions ivoiriennes ne sauraient d'ailleurs être taxées d’inconséquence car depuis 1960, quelles que soient les vicissitudes, c’est un régime présidentiel, pour ne pas dire « hyper-présidentiel », qui est en place. Il se fonde sur la stature d’un chef de l’Etat, « détenteur exclusif du pouvoir exécutif », doté d’importantes prérogatives dans le domaine législatif et d’une influence directe dans le domaine judiciaire. Encore s’agit-il ici d’une description toute formelle, sans que l’on s’appesantisse sur les pouvoirs réels du Président. Les institutions sont cousues main pour un homme fort, fût-il respectueux de la légalité. Une comparaison avec la Constitution française de la Ve République n’est pas incongrue. La volonté est identique : donner des moyens puissants à un homme pour agir. En ce sens, les institutions ivoiriennes sont et ont toujours été antilibérales. On doit le marteler : un régime libéral ne saurait s’accommoder d’un pouvoir personnel. Le constitutionnalisme se définit avant tout comme un moyen d’enserrer le Pouvoir, et non pas de lui laisser les mains libres.
La sphère de la société civile n’ayant pas été sauvegardée, l’équilibre des fonctions de l’Etat ne saurait être satisfaisant. Si les Ivoiriens souhaitaient s’engager enfin dans la voie du constitutionalisme libéral – une expression pléonastique -, ils feraient bien non pas de faire table rase du passé, mais de se souvenir qu’en 1959, fût-ce dans des circonstances particulières, un régime parlementaire avait été établi.
Note de lecture réalisée par Aquilas YAO, étudiant libéral ivoirien (ELI) au sein d’Audace Institut Afrique
Pour lire l’analyse complète de Jean-Philippe FELDMAN :