Mesurer la liberté humaine : une aventure ambitieuse !

"Quand il s’agit de la santé, de la richesse et du bonheur, la liberté de l’homme importe" "Si cela compte, il faut le mesurer"; telle est la devise de l’Institut Fraser, chef de file des think tanks canadiens, au sein duquel je suis conseiller depuis 1991. Bien plus qu’un slogan, cette insistance sur la mesure imprègne et guide tout le travail de l’Institut. Peu de choses important davantage que la liberté, il est logique que Fraser se soit lancé dans son entreprise méthodologique la plus ambitieuse : mesurer la liberté humaine. Fraser a été un pionnier dans l’élaboration des indices de liberté économique. Son premier index a été produit en 1996. Le livre présenté aujourd’hui - et réalisé en collaboration avec le Liberales Institut en Allemagne, est prudemment intitulé: « Towards a Worldwide Index of Human Freedom », « Vers un classement mondial de la liberté humaine ». La totalité des chapitres de ce livre (environ 300 pages) mérite d’être étudiée avec soin par ceux qui s’intéressent de près à la liberté humaine. Avant de publier la première édition de son index de la liberté économique, Fraser avait organisé une série de colloques afin de discuter la possibilité et les nuances de mesure de la liberté économique. Des lauréats du Prix Nobel, tels que Milton Friedman et Gary Becker, ainsi que d’autres experts en économie avaient participé à ces colloques. À ma connaissance, il n’y a pas eu de discussions aussi longues avant la production de cet index-ci. La plupart des auteurs, cependant, ont derrière eux une longue carrière axée sur l’étude de la liberté économique. Ce nouveau livre permet à beaucoup de ceux qui ont consacré leur vie à l’étude et à la promotion de la liberté, de s’engager dans le débat sur la façon de mesurer un concept plus élaboré. Ian Vasquez et Tanja Stumberger, qui ont préparé les statistiques, écrivent : « Notre espoir est que le présent document stimule une discussion plus ciblée à propos de la pertinence des données et d’une approche raisonnable de leur utilisation ». J’offre mes commentaires personnels ci-dessous : La liberté humaine, d’après la méthodologie de Fraser, englobe la liberté personnelle ainsi qu’économique. Je définis la liberté économique et politique comme « le droit des adultes à essayer de faire usage de ce qu’ils possèdent à leur guise ». Cette définition correspond très bien à la mesure de la liberté économique de Fraser. Il y existe aussi un autre type de liberté qui motive les êtres humains. Elle a davantage à voir avec l’esprit qu’avec l’économie. Dans la tradition chrétienne, ce concept a été exprimé magnifiquement et simplement dans les Évangiles: « Vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres » (Jean 8:32). Ceux qui se concentrent sur la politique et l’économie évitent parfois ce concept, « ainsi défini, on peut être libre même dans une prison ». Correct ! C’est un choix légitime que de préférer mourir dans une prison pour une cause injuste, avec la liberté de savoir qu’on possède un esprit propre, que de mourir dans l’addiction et entouré de richesses matérielles. Ceux qui choisissent les drogues exercent leur liberté économique, comme lorsqu’ils grimpent en haut d’un gratte-ciel pour faire le saut de la mort en criant: « Regardez comme je suis libre ! » Toutefois, appeler cette action un exemple de la liberté personnelle me semble être un abus de langage. Il n’est pas surprenant de voir la Nouvelle Zélande, les Pays-Bas et Hong Kong à la tête de ce classement. Les pays avec le pire score n’alarment personne d’ailleurs: le Zimbabwe, Myanmar (anciennement Birmanie) et le Pakistan. C’est lorsque l’on regarde certains cas et certaines régions spécifiques que les résultats étonnent. Singapour, par exemple, qui est classé numéro deux en matière de liberté économique, tombe au numéro 39 en matière de liberté humaine, derrière le Salvador et même l’Albanie. L’Argentine, un pays qui a dilapidé d’innombrables richesses à cause de la restriction des libertés économiques, s’améliore passant de 94 en matière liberté économique à 56 au plan de la liberté humaine.

En regardant de plus près la région que je connais le mieux, l’Amérique latine, on observe dans cet index des gagnants et des perdants logiques, avec le Chili comme champion, et le Venezuela comme mauvais élève. Le Venezuela apparaît cependant comme la nation d’Amérique Latine qui a le plus progressé au cours de la période de l’étude (de 2002 a 2008). Si l’on enlève le Venezuela comme cas extrême, et que nous effectuons une corrélation statistique entre tous les autres pays d’Amérique latine, cet échantillon préliminaire de données démontre une très faible corrélation entre la liberté personnelle et la liberté économique. Les pays ayant de faibles niveaux de liberté économique, comme l’Argentine et le Brésil, se démarquent avec un niveau de liberté individuelle plus élevé. Les futures versions de cet index pourraient envisager que bien souvent les remèdes juridiques à la discrimination contre les minorités - tels que les homosexuels, qui ont été étudiés plus particulièrement dans cette première édition - vont de pair avec les restrictions à la libre association et à la liberté d’expression pour les organisations religieuses et autres. C’est ce qui s’est passé au Brésil et les gens redoutent que ce soit ce qui se passe actuellement aux États-Unis. Michael E. Walker et Fred McMahon, les deux économistes brillants qui ont mené cet effort à Fraser, ont beaucoup de mérite pour avoir lancé l’entreprise la plus sérieuse à ce jour de mesure de ce qui compte, et pour nous avoir donné tant de matière à méditer. Une analyse réalisée par le Dr. Alejandro Chafuen, membre du Comité des conseillers du The Center for Vision & Values, membre du conseil d'administration de Grove City College et président de Atlas Economic Research Foundation. Il est membre du conseil d'administration de l'Institut Fraser depuis 1991 (Les opinions exprimées par l'auteur sont personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Grove City College ou celles de son comité de conseillers.)

Traduction : Anaïs Clément, Fondation Atlas pour la recherche économique
Article publié en collaboration avec le magazine Forbes

 

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