La Justice sociale et le Pape François: Préférer la liberté à la servitude

Après avoir passé la plus grande partie de sa vie à Buenos Aires (Argentine), le Pape François a démontré qu’il pouvait dépasser son environnement. Comme son compatriote évêque, Alberto Bochatey en faisait la remarque, “ [le Pape François] est un homme de peu de mots”. J’ai pour ma part vécu la moitié de ma vie à Buenos Aires. Il est devenu très difficile de trouver des hommes de son espèce, leaders d’une telle humilité, choisissant d’enseigner en montrant lui-même l’exemple. Dans son pays natal, l’Argentine, la grande majorité a été captivée par une vision de “justice sociale” qui  imprègne la culture étatique politique et économique du pays. On espère que  le Pape François s’élèvera à nouveau au-dessus de sa culture et aidera à rétablir une autre conception de justice sociale, qui a été cultivée et développée par des membres de son ordre religieux. Lorsque le terme de «justice sociale» est devenu obligatoire dans le jargon des politiciens Argentins, le pays a entamé son déclin. Il faut remonter pour cela dans les années 1940, lorsque le colonel Juan Domingo Perón créa la “Justicialista” ou parti de la “Justice”. Perón, admirateur de Benito Mussolini, commença à suivre les recommandations de ce-dernier: dans chaque pays ou le fascisme serait adopté, il faudrait lui donner un nouveau nom. Le mot fascisme vient du latin « fasces », c’est-à-dire haches, que les magistrats portaient sur eux comme symbole d’autorité ainsi que le pouvoir de punir et de faire appliquer la justice. Perón a fait de la “justice” sociale un pilier de sa politique. Le terme, cependant, ne fut pas inventé par Perón et remonte à plus loin. Le Lauréat du prix Nobel F.A. Hayek avait raison en soulignant que ce terme s’était largement répandu après que le Jésuite de renom, Luigi Taparelli d’Azeglio (1793-1862) en aurait fait l’usage dans un des traités de droit naturel, écrit en langue latine, les plus importants du XIXe siècle.Ce livre de Taparelli fut traduit en espagnol et en français, mais pas en anglais ou en allemand. Peut-être cela expliquerait-il pourquoi Hayek fit cette erreur en supposant que Taparelli avait utilisé ce terme dans le même sens corrompu et populaire qui voit la justice sociale comme le fait de “prendre aux riches ce qui leur appartient pour le redistribuer aux pauvres.”Comme Thomas Patrick Burke l’a souligné dans un article récent ainsi que dans son livre, Taparelli appartenait à une riche tradition dans laquelle la justice sociale avait très peu ou alors rien à voir avec la redistribution des richesses par le gouvernement.Le sens de justice sociale de Taparelli selon Burke se rapprochait plus de l’ordre au sein de la société, ainsi que de cette Justice allant au-delà de la justice débattu dans une salle d’audience. Même les géants intellectuels qui s’étaient opposés souvent à lui sur certains sujets, tels que le Père Antonio Rosmini Serbati (1797-1855), avaient une opinion similaire de la justice sociale. Durant une certaine période, certaines doctrines de Rosmini furent même condamnées. Son procès de Béatification a commencé avec Jean Paul II et il fut la première personne à être béatifiée par le Pape Benoit XVI. Rosmini est l’auteur de la “Constitution de la Justice sociale”. La première version de ce livre en anglais fut traduite de l’italien par Alberto Mingardi, et fut récemment publiée par l’Institut Acton. Mingardi, fondateur de l’Institut Bruno Leoni (Italie), y a écrit une remarquable introduction dans laquelle il souligne que “Rosmini critiquait ouvertement les politiques distributives qui limitent et confisquent la propriété privée, au nom de la bienveillance obligatoire.”Pendant cette période, qui va d’Aristote à Adam Smith, il y a une abondance de philosophes de la morale ainsi que des juristes qui ont étudié la justice distributive; et il est presque impossible d’en trouver un qui l’assimile à la définition de la “Justice sociale de Perón”. Les salaires, les profits ainsi que les loyers étaient toujours vu comme faisant partie de la justice commutative, ou la Loi des contrats. La justice distributive traitait les sujets de fiscalité, les récompenses et les honneurs. Même ceux qui avaient un grand cœur pour les pauvres, comme le jésuite Juan de Mariana (1536-1624), argumentait que l’égalité devant la loi requérait une certaine inégalité, en d’autres termes les personnes qui produisent plus gagnent plus. Etant donnée la grande production intellectuelle de Mariana, nous pouvons le cataloguer au rang de think tank à lui seul. Ses travaux étaient connus par Thomas Jefferson et James Madison. Afin d’honorer son héritage, un think tank, petit mais efficace porte maintenant son nom en Espagne, l’Instituto Juan de Mariana. Malheureusement, non seulement Hayek mais aussi d’éminents intellectuels contemporains, entre autres jésuites, ne mentionnent que très rarement cette tradition. Cette approche de la justice sociale par ces Jésuites intellectuels qui ont eu une grande influence sur la doctrine de l’Eglise, est aussi bien différente de l’interprétation actuelle de la justice distributive. En effet, Mateo Liberatore (1810-1892), grand défenseur de la propriété privée, a joué un rôle important dans la rédaction de la grande Encyclique Sociale, Rerum Novarum (1891), et rappelle à ses lecteurs que: “sur ce sujets des droits, nous devons diligemment nous prémunir de donner trop d'autorité (potestat) à l'Etat." Un autre jésuite, Oswald Nell-Breuning (1890-1991), qui a joué un rôle similaire à celui de Liberatore dans la rédaction de Quadragesimo Anno (1931), fut à plusieurs reprises accusé d’avoir une vision corporatiste de la société. Cependant, il écrivit aussi que cela allait à l’encontre de la justice sociale que de fixer des salaires qui sont au-dessus du niveau qui fait que le commerce est viable. Quand fut-elle la dernière fois qu’un lecteur de cette colonne a entendu un prêtre ou un pasteur depuis sa chaire argumenter que les salaires élevés de certains travailleurs pouvaient aller à l’encontre de la justice sociale? Je ne sais pas si le Pape François a étudié ou réfléchi sur le travail de ces jésuites intellectuels (énoncés ci-dessus). Les écrits d’autres jésuites ces dix dernières années ont eux aussi présenté des vues économiques qui ont, de nouveau, très peu à voir avec l’interprétation péroniste de la justice sociale.Le récent défunt James Sadowksy, SJ, de l’Université de Fordham, a énormément apporté à l’économie, et a ouvert les yeux d’un grand nombre de penseurs libertariens au Droit Naturel.Murray Rothbard, co-fondateur de l’Institut Cato et ensuite de l’Institut Mises, fait partie de ceux qu’il a grandement influencé. Depuis peu à la retraite, James V. Schall, SJ, de l’Université de Georgetown, a lui aussi apporté une contribution majeure. Son livre, “Religion, Richesse, et Pauvreté”, publié il y a plusieurs dizaines d’années de cela par l’Institut Fraser au Canada, est un classique pour les amoureux de la religion ainsi que de la liberté économique. La justice sociale est et continuera de faire partie de la doctrine catholique. Ce sujet est abordé, entre autres, aux points 410-414 du Compendium du catéchisme de l’Eglise Catholique : « La société s’assure de la justice sociale lorsque celle-ci respecte la dignité et les droits de la personne, comme la propre fin de la société elle-même”. Cette dernière, par ailleurs essaye d’obtenir la justice sociale, reliée au Bien Commun et à l’exercice de l’autorité lorsqu’elle garantit les conditions qui permettent aux associations et aux individus d’obtenir ce qui leur est dû (point 411). L'économiste Jean-Yves Naudet, spécialiste de la Doctrine sociale de l'Eglise, fait justement remarquer que “bien des confusions à ce propos viennent d'une mauvaise définition du bien commun. Dans son livre sur "La doctrine sociale de l'Eglise: une éthique économique pour notre temps" (2011, Presses universitaires d'Aix-Marseille),  le professeur Naudet part d'une définition du bien commun donnée par Jean XXIII comme étant "l'ensemble des conditions sociales permettant à la personne d'atteindre mieux et plus facilement son plein épanouissement"; le bien commun n'est donc pas un résultat, mais un ensemble de conditions”; il en va de même pour la justice sociale de créer les conditions afin que les gens puissent créer de la richesse, avoir des emplois, construire des maisons, sans pour autant que le gouvernement soit celui qui repartisse les richesses, soit l’employeur d’ultime instance ou fournisse les logements. Il faut reconnaitre que certaines inégalités sont injustes mais que d’autres “entrent dans le plan de Dieu”. En mettant l’accent sur la solidarité, le Compendium souligne qu’elle «s’exprime avant tout dans la juste distribution des biens, dans la rémunération équitable du travail et dans l’effort à faveur d’un ordre social plus juste. La solidarité n'exclut pas l'opposition aux politiques gouvernementales. En effet, Karol Wojtyla, avant de devenir pape Jean-Paul II, a écrit que s'opposer à l'éducation publique peut être vu comme un acte de solidarité. Etant donné la croissante et dangereuse popularité de la redistribution aux Etats-Unis, le débat sur la justice sociale prend de plus en plus d’importance. Les défenseurs de la liberté et think tanks, des entrepreneurs intellectuels, des érudits, devraient aborder plus le sujet. La Société de Philadelphie (The Philadelphia Society), qui célèbrera ses 50 ans cette année, consacrera son meeting annuel, début avril, à l’étude de ce sujet. La Société a essayé de se maintenir au-dessus de nombreuses divisions qui touchent le mouvement libertarien-conservateur aux USA. C’était un endroit ou Milton Friedman ou encore l’icône conservatrice Russell Kirk et e conservateur-libertarien Frank Meyer débâtaient. Ces hommes continuent d’incarner ces divers courants intellectuels. Un bon exemple est le Professeur John Tomasi, le directeur fondateur du Projet de la Théorie Politique de l’Université de Brown. Tomasi a dédié un chapitre de son livre “Free Market Fairness” à la justice sociale, au titre provoquant “Social Justicitis.” William H. Hutt,économiste orienté marché libre et aux diplômes impeccables, écrivait que “quoique cette notion paraisse confuse dans les mentalités de la majorité qui l’utilise, [la justice sociale] peut avoir du sens lorsque l’on considère le monde tel qu’il est...En effet, Hayek lui-même énonce, très brièvement, ce que nous considérons et décrivons  comme «le vrai principe de la justice sociale», un concept qui, s’il était compris, pourrait être universellement accepté comme tel”. Le Pape François à ici l’opportunité de pouvoir renouveler cette ancienne tradition de la justice sociale et, par ce biais réorienter le débat de la redistribution à l’édification d'un meilleur ordre économique et social qui soit efficace, afin d’améliorer la condition des pauvres. En respectant la propriété privée, en faisant la promotion de la monnaie forte, en luttant contre la corruption, en éradiquant le capitalisme de privilèges, le protectionnisme, et d'autres causes d'inégalités injustes, qui affectent particulièrement les pauvres, il existe un chemin vers une société réellement plus juste et plus libre. Dr. Alejandro A. (Alex) Chafuen ‘84 est président de Atlas Economic Research Foundation et membre du Comité des Conseillers du Center for Vision & Values de Grove City College. (Les opinions exprimées par l’auteur sont personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Grove City College ou celles de son comité de conseillers.)
---------------------------------------------------------------------------------------------------------
Publié dans Forbes Magazine, édition digitale, et reproduit avec permission.
Liendirect:http://www.forbes.com/sites/alejandrochafuen/2013/03/20/social-justice-and-pope-francis-choosing-freedom-over-serfdom/

Traduit au français par Anaïs Clément