
La République est une Idée. Et dans l’idée républicaine, il n’y a pas de « grandes » et de « petites » idées. Tout y est important. Tout y est nécessaire. Telles les idées d’égalité, de liberté, de fraternité, de démocratie, des droits humains, etc. Or, à moins que les africains aient développé une autre Idée de la République (autre que celles des « Lumières » européennes), alors il faut, dans nos Etats, veiller scrupuleusement au respect de ces valeurs.
Certes, les Etats africains semblent plus préoccupés par les principes à résonance politique comme la « démocratie », « les droits de l’homme », etc.[1], mais les autres valeurs sont tout aussi importantes. Aussi, faut-il faire attention à la question de la « laïcité », la revendication parfois excessive de l’appartenance à une région, une ethnie, une tribu, une religion, etc., toutes choses pourtant qui entravent insidieusement ou de manière perverse le développement d’une véritable nation[2]. Certes, savoir si les élections sont justes et transparentes, si la bonne gouvernance est respectée et si les principaux indicateurs de développement sont au vert est une bonne chose. Mais n’y a-t-il pas plus à craindre si tous ces efforts ne résistent pas aux antagonismes liés à la question de la laïcité et de l’ethnicité ?
Ceci n’est pas du pessimisme. Juste un cri d’alerte !
Quotidiennement dans les médias, les informations les plus violentes et alarmantes nous parviennent, qui font état de ce que de nombreux Etats africains –qui se réclament haut et fort républicains, donc laïcs- sont confrontés à des crises graves opposant soit des communautés religieuses soit des communautés ethniques. Mais point n’est besoin d’une enquête approfondie sur le terrain pour savoir que ces crises ne sont que le résultat du laxisme de l’Etat vis-à-vis des pratiques et des discours de plus en plus radicaux des uns et des autres. Les expéditions punitives entre communautés ne se comptent plus. Les attentats meurtriers, souvent menés avec des explosifs, pour tuer indistinctement et sans état d’âme femmes, enfants, etc. relèvent désormais de la rubrique des « faits divers » (quant aux conséquences sociales, elles sont incommensurables). Ces atrocités sont appréhendés et traités au même titre que le grand banditisme, voire la petite délinquance, au lieu qu’ils suscitent dans la nation concernée un vrai débat sur la place, le rôle et la valeur de la laïcité ou de l’ethnie dans un régime républicain. En effet, loin de jouir de la liberté que leur accorde l’Etat (liberté de pensée et d’opinion, liberté de croyance, liberté d’expression, liberté d’association, etc.), certaines communautés semblent se comporter en rivales plus ou moins déclarées de la république ou de l’Etat.
Mais les petites causes produisent souvent de grands effets. Il faut donc faire preuve de vigilance, car ça n’arrive pas qu’aux autres ! Tôt ou tard, les horreurs que nous regardons tranquillement assis devant notre télévision risquent bien de se produire dans nos pays. D’ailleurs, à regarder de près, les coups d’Etat, les conflits intercommunautaires et religieux, etc. se déplacent d’un pays à un autre comme si cela obéissait à une loi naturelle. C’est pourquoi il faut prendre garde de bien surveiller le discours des politiques, des cadres et de tous les habitants d’un pays, car la référence religieuse ou ethnique dans la réflexion et l’agir des uns et des autres n’est pas seulement un principe mais un instrument d’affirmation de soi qui sert en même temps comme critère de différenciation et, en fin de compte, de discrimination.
Malgré tout, nombre de personnes, heureusement soucieuses encore de faire prévaloir la primauté de la république et de la nation existent, qui s’étonnent chaque jour davantage du fait que dans nos pays (où toute étincelle peut mettre le feu aux poudres, tout comme l’éclatement du pneu d’une voiture –entendue comme la détonation d’une arme de guerre- peut faire rentrer précipitamment tous les habitants d’un quartier ou d’une ville à la maison), l’on ne puisse faire la part des choses entre le privé et le laïc, le religieux et le laïc, le religieux et le politique, l’ethnie et la nation, etc.[3] En France par exemple, ce souci est constant, car même si la séparation entre les différents ordres est bien établie et comprise, l’Etat n’hésite pas un seul instant à recadrer les choses (port du voile, divers signes religieux que l’on porte sur soi de manière ostentatoire, débat sur la manifestation de sa foi par les sportifs au cours des compétitions, etc.). De même, L’Etat ne manque pas d’affirmer sa totale autonomie sur certaines questions : avortement, euthanasie, clonage, mariage homosexuel, etc.
Certes, les problèmes que nous vivons concernent tout le monde. Mais cela ne veut pas dire que c’est à travers les lunettes de nos croyances ou des valeurs de nos communautés d’origine qu’il faut nécessairement chercher les solutions. Les solutions doivent avant tout être conformes aux principes de la république. En tout cas l’Etat a le droit et surtout le devoir, en cas de dérive (religieuse, tribale ou autres) d’intervenir énergiquement pour amener l’ensemble des citoyens au respect scrupuleux des textes fondateurs de toute république. Il y a des lignes rouges à ne pas franchir dans une république, et tous ceux qui, directement ou indirectement, mettront en avant des considérations allant à l’encontre des principes républicains devront répondre de leurs actes devant la loi[4].
Pr Christophe Yahot, Université Alassane Ouattara - Bouaké - Côte d'Ivoire
[1] Voir notre réflexion sur «Droits et devoirs du citoyen : quel équilibre ?», dans fraternité Matin N° 14734 du 14-01-2014.
[2] Voir notre analyse sur « La problématique du passage de l’ethnie à la nation dans les nouveaux Etats indépendants : quelle réalité en Côte d’ivoire ? », in Revue Repère International, Paris, 2007.
[3] Par exemple, de nombreux citoyens osent à peine élever la voix pour dénoncer ce qu’ils considèrent néanmoins en privé comme un abus, notamment le fait que certaines pratiques religieuses (Fêtes, pèlerinage, etc.) soient financées par des fonds publics, c’est-à-dire avec l’argent du contribuable. De plus en plus, chaque « grande » religion « exige » comme un droit sa quote-part. Reste plus aux animistes et aux athées qu’à mieux s’organiser pour réclamer leur dû au nom du principe de la liberté de croyance.
[4] Les dispositions existent bel et bien dans la loi fondamentale et dans le code pénal.