Nature et statut des ex-combattants ivoiriens

Le gouvernement ivoirien depuis trois ans a engagé plusieurs actions en faveur des ex-combattants. Cette semaine, le Japon a fait don d’un milliard au gouvernement ivoirien, destiné à l’Autorité pour le désarmement, la démobilisation et la réintégration (ADDR). Ces initiatives nous donnent l’occasion de nous interroger sur la problématique des ex-combattants et sur le sens des actions menées au plan national et international en leur faveur.

Suite à la crise postélectorale d’avril 2011, des décrets ont été pris pour instituer la Commission Dialogue Vérité et Réconciliation (CDVR) et l’Autorité pour le Désarmement, la Démobilisation et la Réintégration (ADDR) des ex-combattants, deux institutions qui paraissent urgentes et indispensables pour le retour à la normale. Mais malgré leur origine commune, peut-on appréhender de la même manière l’urgence de ces questions ? Si l’indemnisation des victimes et la réconciliation peuvent aisément se justifier, en est-il de même pour le dédommagement des ex-combattants ? Quel peut être le sentiment des Ivoiriens sur cette question ?

En réalité, la nature, l’origine et le statut des ex-combattants n’a semble-t-il jamais fait l’objet d’une véritable réflexion engageant les différents acteurs de la crise et la société civile dans son ensemble, avant que soit engagée toute action à leur égard. Or, certaines questions méritent bien une réflexion approfondie et des solutions consensuelles. Qui sont les ex-combattants ?

Premièrement, que recouvre la notion d’ex-combattant ? Apparemment, il s’agirait d’abord de personnes ayant utilisé les armes pendant la crise. Donc, d’une manière ou d’une autre, et à des degrés divers, ces combattants ont commis des actes répréhensibles. Toutefois, dans notre contexte, l’on retient surtout le fait que les ex-combattants ont positivement contribué au rétablissement, dans ses droits, du pouvoir actuel (mais cela ne doit pas faire oublier le fait que leur responsabilité est souvent évoquée dans le phénomène de la prolifération des armes légères et du grand banditisme qui se développe actuellement sur toute l’étendue du territoire). Ensuite, malgré la fin de la crise, ou de la guerre, ces combattants (ex) demeurent, virtuellement, une force menaçante et pesante dans l’environnement sociopolitique. Mais tout cela constitue-t-il une raison suffisante pour traiter avec diligence tout leur problème ?

Ensuite, un combattant (celui qui a mené une lutte, un combat), n’est pas nécessairement un homme armé. Ce peut être l’anonyme qui mène un combat idéologique, administratif, etc. et, en ce sens, nombreux sont les Ivoiriens qui peuvent revendiquer cette qualité ou ce statut. De plus, n’ayant pas au départ été identifiés, recensés et immatriculés, est-il même possible de savoir leur nombre et leur réelle appartenance à cette catégorie, notamment eu égard aux conditions dans lesquelles ces personnes on été engagées ( ?) dans la crise, c’est-à-dire de manière totalement informelle ? Enfin, le caractère hétéroclite de leur origine (petits travailleurs du secteur informel, dozos, prisonniers évadés, ressortissants de la sous-région, désoeuvrés, etc.) ne facilite pas non plus la détermination de leur nombre et la définition de leur statut : des supplétifs d’une force régulière ( ?), des miliciens, des mercenaires, des volontaires ?

Appréhender la notion d’ex-combattant n’est pas une chose évidente. Mais au-delà de ce problème, la question de leur dédommagement, à notre sens, peut et doit faire aussi l’objet d’une réflexion spécifique.

En effet, deuxièmement, quelle (s) raison (s) évoque-ton pour justifier l’attention particulière qu’on leur accorde et les fonds colossaux dégagés, soit pour leur réinsertion, soit à titre de primes pour leur participation à la guerre ?

A priori, tous les ex-combattants sont des volontaires, étant entendu que les citoyens (contribuables) n’ont envoyé personne défendre la patrie, encore moins l’une ou l’autre des partis en conflit (individu ou groupe). Cela veut dire que si les ex-combattants ont été recrutés –comme miliciens, mercenaires, supplétifs, etc., alors leur sort, pendant et après le conflit ne relève que du domaine privé. Certes, la problématique de la réinsertion et du dédommagement des ex-combattants semble constituer le point focal de la préoccupation des autorités, mais n’y a-t-il pas là une démarche qui peut sembler indécente au regard de la problématique générale du chômage des jeunes ? Depuis des décennies, l’obtention du premier emploi est devenue une véritable chimère pour la jeunesse ivoirienne, bardée de diplômes. Aussi, lui demander de patienter davantage, le temps que les ex-combattants soient pris en compte, peut être source de frustration. La guerre étant terminée, il convient de mettre tout le monde sur la même ligne de départ. Justice sociale oblige !

En somme, dans les circonstances que l’on sait, un ex-combattant est un volontaire. Son engagement est donc libre et gratuit. Les discours tendant à en faire des ayants-droit après la crise postélectorale et à exiger pour eux immédiatement, un travail ou une somme quelconque à titre de dommage et intérêt, alors même que les victimes de la crise attendent toujours, que la réconciliation semble au point mort-  ne peut pas et ne doit pas engager la responsabilité du contribuable.

Pr Christophe Yahot, Université Alassane Ouattara, Bouaké
Article initialement publié par Fraternité Matin, le 28 mars 2014