
Mathématiques des papiers : raisonnement par l’absurde
Il y a peu, dans un bureau d’une capitale africaine -qui sentait encore l’odeur de l’indépendance- un haut fonctionnaire, en veste et cravate, m’expliquait que j’avais besoin d’un papier A pour obtenir un papier B. Ensuite, le papier B joint au papier A servirait à établir un papier C. Logiquement, me suis-je dis, A donne B qui donne ensuite C. Hélas ! L’administration n’est pas logique, elle est procédurale. J’avais déjà B, mais je ne pouvais pas obtenir C parce que je n’avais plus A ! J’avais même une copie du fameux papier C que je voulais juste renouveler. Méprise ! Il fallait forcément A, ensuite B, enfin C. Je suis rentré bredouille ; parce qu’il me fallait le papier A, absolument m’a-t-on précisé…absurdement !
Cette ingénierie des papiers
Faisons le compte : Certificat de vie et d’entretien, certificat de résidence, certificat de nationalité, casier judiciaire, relevé d’identité bancaire, extraits d’acte de naissance… Il faut s’arrêter pour décerner la palme aux fonctionnaires ! Ce sont des imbattables champions dans la course aux papiers. Ils battent le pavé nuit et jour sous des tours administratives (le nom est révélateur) pour des « formalités administratives ». Mais ces fameux papiers, à quoi servent-ils ?
De l’absurdité de certains papiers
Un exemple, parmi tant d’autres, illustre l’absurdité factuelle des papiers tant vénérés. Un jour, un juge a trouvé devant lui un quidam, qu’il avait déjà condamné par le passé mais, qui avait un casier judiciaire angélique : blanc! Sans bases de données fiables et actualisées, à quoi peuvent servir les papiers ? Et, lorsque par hasard il existe des bases de données, si elles ne sont pas accessibles... Bref. Il y a mieux : certains papiers ne se demandent que les mardis et ne s’obtiennent que les jeudis ! Allez-y savoir pourquoi.
L’économie africaine des papiers
Regardez autour de vous, dans les assurances, devant les banques…des files interminables de personnes, censées être à leur travail pour faire avancer l’économie, attendent d’établir des papiers. Tant de personnes debout, immobilisées, à ne pas travailler…à cause d’un papier : Madame patientez…Messieurs attendez… L’économie aussi ?
D’un papier à un autre
À quoi sert le visa entre la Centrafrique et le Mali ? Aliko Dangoté, l’homme le plus fortuné du continent, disait qu’il voyage plus facilement en Europe qu’en Afrique ! À méditer. Savez-vous qu’au Cameroun, un travailleur immigré doit payer des « droits de sortie » du territoire ? Où qu’il aille et peu importe le temps ! 2 jours de missions, 3 jours de vacances…et surtout avoir une « autorisation de sortie » ?
Une dignité de papier
Ce n’est pas tout, une fois le papier obtenu, il faut le transformer en un papier important ! Le même papier, acquis de haute lutte, doit encore passer par les nombreuses légalisations et authentifications. Mais le comble ! C’est lorsque vous finissez ces démarches après 4 ou 5 mois de rangs interminables, d’attitudes irrévérencieuses subies, d’omissions ou d’erreurs à faire corriger… et que l’on vous dit béatement « Non, madame, nous ne prenons que les certificats de moins de 3 moins ! » ou « Non monsieur, ce papier n’est plus exigé depuis cette semaine, il y a un nouveau…». Donc retour à la case départ !
Le cirque/cycle des papiers
Un européen sexagénaire s’est vu demandé pour des formalités dans un pays africain « Nom du père et de la mère ? », il était ahurit ! Réponse « Ils sont morts depuis !...». Rien n’y fit, il a dû donner les noms et prénoms et jusqu’aux dates de naissance qu’il ignorait ! Je me demande bien comment on faisait avant la colonisation ? Mais c’est un autre débat. Et puis, entre nous, demander la photocopie de la pièce d’un ascendant à un monsieur de 60 ans… soyons sérieux ! C’est tellement courant, ces formalités, qu’on en oublie l’anormalité.
Rationaliser le cirque/cycle
Il n’est point besoin d’un « expert international » payé à coup de millions pour nous le dire, il faut :
- Réduire la quantité de papiers exigés pour les besoins administratifs (ces tours et détours abscons !).
- Prolonger la validité des papiers pour deux, cinq voire dix ans ! Quitte à fixer un prix qui aide les administrations à survivre dans ce laps de temps ; mais il est absurde de faire refaire des papiers tous les trimestres à des citoyens, juste pour leur soutirer le droit de timbre.
- Établir des guichets communs pour les formalités liées (sinon, Il faut payer au trésor, ensuite, allez à la justice, après à la sous-préfecture ou à la direction départementale de…ça suffit !)
- Recourir à l’archivage électronique. Comment demander à une personne qui vient de perdre ses papiers après deux semaines (les braqueurs n’étant pas tous indulgents) de refaire le parcours du combattant ? Les papiers sont faits pour les hommes…non l’inverse.
- Fixer clairement les délais d’obtention des papiers, etc.
Culture ou culte des papiers
Lettres manuscrites pour les concours administratifs, lettres de motivation manuscrites… (Elles ont peut-être un intérêt, mais n’exagérons-pas !). Ces tonnes de mémoires sur des sujets curieux, à la pertinence douteuse. Ces milliers de rapports, courriers, procès-verbaux… Où sont-ils archivés ? Allons-nous continuer éternellement le culte des papiers ? « On a toujours fait comme ça ! Monsieur, suivez la procédure ! ». Curieusement, ce sont les Cent-papiers africains qui deviennent des Sans-papiers en Europe. La dictature des Papiers n’est pas une dictature de papier ; elle est bien réelle. Ave Papyre ! Morituri te Salutant !
Désiré N’Dri, analyste pour Audace Institut Afrique.