Voter l'abstention ? 10 questions sur la liberté de voter.

D’Aristote à Habermas, la philosophie a montré et démontré que l’Homme est un animal politique. De plus, le contrat social rousseauiste s’est consolidé comme le moyen par excellence de rendre viable l’agrégat sociétal qu’il faut aussi rendre vivable ! Et, au cœur du contrat social se trouve la clause électorale. C’est elle qui permet au peuple de donner ou de retirer sa confiance à ses gouvernants. En Afrique, cet important article du contrat social mérite d’être revisité.

1. Élections: De la fiction à l'usurpation ?
Les élections sont une fiction nécessaire du contrat social. Pour vivre ensemble (et parfois survivre ensemble), il faut se nourrir de ces fictions légales et légitimes. Ces « comme si », qui permettent le maintien de la société politique et les régulations minimales, sont des gages d’exercice des libertés individuelles…en principe ! Malheureusement, ces fictions peuvent perdre leur légitimité. C’est pourquoi, la fiction électorale utile peu devenir un mythe futile. C’est ainsi que l’aversion du peuple pour les élections les transforme en usurpation.

2.
Voter toute une année ?
L’année 2015, dit-on, sera électorale : Benin, Burundi, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Niger, Nigeria, Soudan, Togo, etc. Année électorale, non seulement par la tenue des élections elles-mêmes, mais surtout parce que l’Afrique souffre de la fièvre préélectorale ! À sa décharge, soulignons qu’elle n’a pas le monopole de cette épidémie. Mais ici plus qu’ailleurs, cette fièvre cache le mal plus profond d’une grave méprise.

3.
Voter : Liberté de s’exprimer ?
Où s’exprime le peuple aujourd’hui ? Secret de polichinelle ! Même ceux qui s’obstinent à sacrifier aux dieux électoraux peuvent s’en convaincre, s’ils le veulent : Libéralisez les medias africains, donnez aux jeunes/peuples (presque synonymes) la parole dans ces medias, vous entendrez ce qu’ils écrivent sur les réseaux sociaux… L’Afrique fait face à une mutation sociale hurlante que certains refusent d’écouter. Elle est bien révolue, l’époque des luttes pour des dirigeants déifiés, gouvernants comme opposants.

4.
Voter : quel enjeu ?
Redisons cette vérité brûlante : Les joutes électorales sont aujourd’hui aux antipodes des préoccupations de l’Africain lambda ; sauf opportunité d’investissement économique (campagnes électorales, clubs de soutient…). Le jeu politique lui-même n’est plus d’aucun attrait, d’ailleurs ce n’est plus un jeu ! Les élections ne sont plus que temps de transhumance pour les idéologues de l’errance politique et moyen de subsistance pour les sans-emplois mués en militants-de-profession.

5.
Les urnes : Des canaris sacrés ?
La liberté des citoyens ne peut être enfermée dans les urnes ! Il ne suffit pas de déposer une urne, il faut aussi donner la motivation aux citoyens pour s’y rendre. Avant d’aller à l’urne, il faut garantir sa sécurité au citoyen. Après, Il faut encore lui prouver qu’il n’a pas perdu son temps en allant voter. Ces conditions sont loin d’être réunies. Et trop souvent, le citoyen est confronté au dilemme de choisir par suivisme ou de choisir de ne pas choisir par civisme. C’est donc que l’urne n’est pas un canari sacré, il faut désacraliser les élections !

6.
Voter : une conditionnalité ?
L’Africain est expert du sacré… Or, curieusement, les bailleurs de fonds internationaux sont les premiers à tomber en transe électorale ! La réalité brille pourtant comme le soleil : les urnes vides sont le corolaire de politiques vidées d’essence et de sens. Et la décence commande la reconnaissance du déclin de la religion de l’électoralisme. Liberté religieuse et laïcité obligent… Il faut s’abstenir d’obliger les peuples africains à se prosterner devant les urnes.

7.
Élections: Les conteurs démasqués ?
La désaffection pour les élections est un signe patent, de l'échec des politiques et de la Politique en Afrique !  Il y a de moins en moins d'esprits simples. Le monde bouge. Les urnes deviennent trop transparentes. Ceux qui venaient conter fleurette au matin des élections sont embarrassés. Enrober les élections, de nouvelles promesses toujours plus étincelantes et décevantes, ou dévêtir les élections de leur manteau mythologique ? Défi hardi.

8.
Elections : comptes ou décomptes ?
En Afrique, les élections commencent par des tensions et finissent par des contestations. Le calendrier électoral ? Les altercations autour des listes, les outrages des campagnes, puis les saccages à la proclamation des résultats. S’agit-il d’élections libres ? Lacordaire disait : « La liberté n'est possible que dans un pays où le droit l'emporte sur les passions » ! Combien de contestataires à la machette défendent une idéologie, un droit ? Quel est le coût économique d’une élection ? Il faut s’interroger, au risque de revoir indéfiniment le spectacle écœurant de badauds, paralysant nos pays sous prétexte d’élections.

9.
S’exprimer dans les urnes ?
Les évènements de Ouagadougou de Novembre 2014, viennent rappeler que tout empire périra. Mais au-delà, ils révèlent surtout que le peuple réel, non pas le peuple virtuel des médias officiels, n’attend pas forcément les élections pour s’exprimer. Quand la confiance du peuple n’est plus placée dans les urnes, il faut changer de paradigme.

10.
Voter : Droit ou devoir ?
Il faut s’inquiéter du mépris de la clause électorale du contrat social. Il serait toutefois contre-productif, de persister à faire des élections, un message de salut pour nos Etats africains ! Il faut plutôt restaurer les valeurs des élections, de la politique. Mais, quid du devoir civique ? Disons que c’est une question de liberté ! Or, aucun choix n’est libre pour qui est obligé de choisir. La liberté, c’est aussi celle de ne pas choisir : c’est un choix.

Désiré N'Dri, analyste pour Audace Institut Afrique