
La présidentielle ivoirienne, reportée depuis 5 ans, devrait enfin avoir lieu le 31 octobre 2010. Sauf cafouillage de dernière minute, les Ivoiriens devraient enfin pouvoir choisir leur futur leader. Le chemin aura été bien long, après huit années de conflit et d’inertie politique ayant fait flamber la pauvreté, et après d’interminables files d’attente pour se faire enrôler puis pour retirer les cartes d’identité et les cartes d’électeur.
La Côte d’Ivoire demeure coupée en deux
Certains qualifient ce scrutin à haut risque et pour cause : malgré les discours apaisants sur la situation, le nord du pays est toujours aux mains de l’ex rébellion qui assure la sécurité, conserve des barrages de contrôle à l’entrée et à l’intérieur de la zone, dispose de ses propres ressources à travers l’exploitation des richesses naturelles et d’un système de taxes. Le Candidat Laurent Gbagbo a d’ailleurs dû payer l’une d’elle pour avoir le droit de coller ses affiches de campagne dans la zone du Nord. Ce n’est certes pas politiquement correct de parler de ces réalités mais le pays demeure coupé en deux. Ainsi, pour contourner ces tensions, l’idée d’un partage du pouvoir après les résultats du scrutin se fait de plus en plus pressante. Quelle que soit l’issue du scrutin d’ailleurs, en un tour ou deux, peu importe. Ce partage, entré dans la pratique lors des accords de Marcoussis en janvier 2003, serait également un gage de paix et de stabilité car tout le monde pourrait ainsi bénéficier des largesses du pouvoir.
La notion d’un partage généreux du pouvoir
Cette notion de générosité dans le partage interroge pourtant lorsqu’on analyse la situation du point de vue des populations ivoiriennes. Une démocratie repose, entre autres, sur une compétition entre des partis politiques et un libre choix des électeurs. L’objectif étant d’assurer l’intérêt commun. Les partis, dans l’élaboration d’une démocratie, doivent accepter le multipartisme, c’est acquis en Côte d’Ivoire, mais ils doivent également se contraindre à un respect de l’alternance au gré d’élections démocratiques. Le pouvoir partagé entre les principaux partis politiques du pays revient, osons le dire, à un partage du gâteau au profit de petits groupes d’hommes au détriment des populations. Puisque tout le monde est dans le même bateau, s’il coule tout le monde est impliqué mais personne n’est responsable.
Au-delà, le partage du pouvoir est une imposture envers les populations qui n’ont plus de raison de se rendre aux urnes si leur choix est trahi et bafoué. Seraient-elles là uniquement pour légitimer, face au monde, un modèle démocratique sans consistance ? Seraient-elles là uniquement pour légitimer la soif de pouvoir de petits groupes qui pourraient ainsi agir en toute impunité ? Ce partage, nous l’avons vu ces dernières années, ne peut conduire qu’à l’inertie, à la loi du silence.
On entend dire qu’ailleurs, en France, aux Etats Unis, en Espagne, on s’oriente également vers un partage du pouvoir. Soulignons que la comparaison ne tient pas. Aux Etats Unis ou en France, l’ouverture politique à des personnes issues des camps adverses relève plus de la volonté d’affaiblir l’opposition. Ces recrutements sont individuels. Ce ne sont pas, comme en Afrique, les partis politiques dont sont issues les recrues qui les désignent à leur poste. De plus, les nouvelles recrues entrent ensuite pleinement dans la vision de l’équipe en place. Elles sont bien souvent exclues de leur propre parti politique et adoptent ensuite les couleurs politiques de leur nouvelle équipe et ce n’est pas non plus le cas en Afrique. Ce modèle de partage opportuniste à l’occidentale n’affaiblit nullement la vision globale et n’entrave pas l’action de l’équipe en place.
L’exercice du pouvoir par l’équipe sortie des urnes
A l’inverse du modèle de partage, l’exercice du pouvoir par l’équipe de politiciens sortie majoritaire des urnes permet de mettre en place le programme choisi par les populations donc de respecter leur choix. Le flou disparaît car les dirigeants en place ont les rennes en main, peuvent travailler efficacement et deviennent pleinement responsables face aux populations et face à l’opposition qui peut exercer son rôle de contre-pouvoir efficacement. Il faut sortir de l’image réductrice d’une opposition perdante qui reste à ruminer à la maison en attendant le prochain scrutin ou pire le prochain renversement. Dans une démocratie, l’opposition est en principe active et est un contre-pouvoir essentiel qui permet de limiter les dérives de l’équipe en place. L’opposition, au même titre que les médias, est censée veiller au respect des intérêts des populations. Ce rôle lui confère une forte responsabilité démocratique et une place importante dans la vie de la nation. Si la règle du jeu est respectée, l’alternance politique est facilitée. Ce mode de gouvernance, loin de l'égoïsme conduit au respect de l’intérêt public. La notion même de poste à responsabilité prend ici sa signification profonde. L’obligation de résultats, familière au chef d’entreprise, s’impose alors aux responsables politiques qui sont comptables des deniers publics.
Ça va aller !
Trop souvent, pour légitimer l’inertie politique, les dirigeants abusent de l’alibi selon lequel, en situation de tension exceptionnelle, il est difficile d’appliquer un programme de gouvernement. L’élection qui arrive devrait être un moyen de sortir de cette situation exceptionnelle pour, à travers la légitimité des urnes, rétablir l’ordre et l’équilibre démocratique. Il faut cesser la politique de l’autruche, la fuite en avant qui consiste à emballer de papier rose les vrais problèmes pour paraître bon élève face à la communauté internationale et fin négociateur face au peuple. Les Ivoiriens sont dans l’attente d’une équipe énergique qui saura rétablir l’Etat de droit et mettre en place un cadre institutionnel qui permettra la création de richesse.
En Côte d’Ivoire, on a coutume de dire avec fatalisme que « ça va aller ! ». Tout nous incite à croire que ça pourrait aller car le pays a le potentiel qui permettrait un recul significatif de la pauvreté. Mais pour que ça aille, la Côte d’Ivoire a besoin de leaders responsables et humains qui aient une vision et une volonté. Partout dans le monde on constate que la prospérité est en corrélation directe avec les libertés. Reconnaître des libertés individuelles et mettre en place un cadre institutionnel favorable à la création de richesse relèvent de la volonté et ne nécessite aucun emprunt auprès de la Banque Mondiale ou du Fonds Monétaire International.
Alors que le partage du pouvoir incite à la paresse et à la déresponsabilisation, il serait regrettable que, quel que soit le leader sorti des urnes, cette échéance électorale tant attendue et tellement coûteuse se solde par un coup d’épée dans l’eau. Gisèle Dutheuil, Audace Institut Afrique.