Crise ivoirienne : Mamadou Koulibaly appelle à l’humilité et au rapprochement

Mamadou Koulibaly, Président de l’Assemblée Nationale de Côte d’ivoire et Président d’Audace Institut Afrique, se prononce sur la violente crise que vit la Côte d’ivoire depuis le second tour des élections présidentielles. En effet, les deux candidats à l’élection se sont proclamés élus et ont constitué leur gouvernement respectif. Bien que la solution du partage du pouvoir ne soit pas la voie prônée habituellement par son institut, Mamadou Koulibaly souligne que dans cette situation inédite, peu d’alternatives s’offrent aux Ivoiriens : « Tout a été mis en œuvre pour que l’on en arrive là. Maintenant qu’on y est, il faut surtout sauver les vies humaines. Que la classe politique qui nous a mis dans cette situation s’entende maintenant pour nous en sortir ». Lors d’une interview donnée à Radio Espoir à Abidjan, le dimanche 12 décembre 2010, il incite les protagonistes à l’humilité et au dialogue pour préserver les populations de la violence.

 

 

Rompre avec le fatalisme

Il ne faut surtout pas que les Ivoiriens pensent que la solution, c’est la guerre ou la guerre. La solution, c’est la paix par la volonté des peuples. Si nous y croyons, si nous le voulons, il n’y a pas de raisons que nous n’y arrivions pas. Il ne faut surtout pas croire que les dés sont lancés et qu’il n’y a rien à faire, que fatalement les deux clans opposés vont s’entretuer, fatalement quelque chose va se passer, fatalement, ils se haïssent tellement qu’ils ne peuvent pas s’entendre. Ce n’est pas vrai. Les Ivoiriens ont toujours vécu ensemble avec certes quelques petites querelles, quelques petites mésententes, mais nous avons toujours su trouver les ressorts en nous-mêmes pour les dépasser.

 

Des efforts nécessaires sur la voie de l’humilité

Cependant, nous avons toujours pensé que les solutions allaient nous tomber du ciel sans que nous ne fassions d’efforts. L’expérience de ces dix dernières années nous montre que nous sommes obligés de faire des efforts. Pas en termes de sacrifices humains mais en termes d’humilité : savoir que nous sommes des hommes, que nous pouvons nous tromper et, lorsque nous nous sommes trompés, reconnaitre que nous avons fait des erreurs. Puis, humblement regarder l’autre, s’asseoir, échanger pour trouver la solution. Solution qui n’arrange pas forcément les parties en conflit mais qui arrange ceux pour lesquels ils se doivent de travailler, c’est-à-dire les populations. C’est cette humilité qui devait nous emmener à plus d’espoir. Ce qui se joue actuellement demande une grande humilité de la part des protagonistes.

 

La paix sans s'entretuer

En Afrique, nous sommes encore loin de la démocratie, nous n’en sommes qu’à son apprentissage. Chaque élection se termine dans une contestation qui débouche sur une mésentente suivie d’une guerre fratricide. Nous nous retrouvons rapidement avec 400, 500, 600 morts, 50 000 déplacés, des magasins brûlés, des entreprises détruites. Une fois tous ces dégâts constatés, des gens de bonnes volontés à l’échelle mondiale débarquent pour constater les dégâts. L’humanitaire arrive et utilise par la suite, le poids de ces dégâts pour exercer une pression sur les protagonistes de la crise post électorale afin de les obliger à s’entendre sur une paix que l’on qualifie alors de paix des braves. Comme si le fait d’avoir fait tuer des milliers de compatriotes était un acte de bravoure.

On fait alors un gouvernement d’union puis les protagonistes s’installent et gèrent ensemble. Connaissant ce schéma, appliqué à de multiples reprises, aujourd’hui nous ne pouvons pas dire que nous ne savons pas. Comme nous sommes en situation postélectoral et que nous sommes en conflit, il serait préférable de gagner une étape en évitant le maillon des tueries. Nous pouvons éviter de nous tuer et arriver directement à une entente, à une cohabitation, à une cogestion, à une complicité entre les protagonistes pour travailler dans l’intérêt des populations. Nous n’avons pas besoin de la pression exercée par les morts et les destructions. Les vivants peuvent aussi exercer cette pression. Au lieu d’avoir six cent morts, des destructions et de nombreux blessés, nous avons 20 millions d’Ivoiriens qui peuvent parler aux protagonistes. Je pense que la pression des vivants est beaucoup plus efficace que la pression des morts. Nous gagnons en efficacité et en temps. Nous ne sommes pas obligés de nous entretuer avant de faire la paix. C’est le peuple de Côte d’Ivoire qui est souverain, les dirigeants ne sont que les serviteurs. Quand ils commencent par semer les violences de telles sortes que le souverain ne peut plus travailler, ne peut plus vivre. C’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas.

 

Trouver les ressources en nous-mêmes, sans intervention extérieure

Il faut compter sur nous-mêmes sans attendre une solution d’ailleurs. Nous avons essayé toutes sortes de solutions conseillées de l’extérieur mais aujourd’hui, il est temps de nous prendre en main. Inutile d’attendre que quelqu’un de l’extérieur nous dise d’engager un dialogue. Nous sommes dans la même barque. Si elle doit couler, pourquoi ne pas se parler avant ? D’un côté comme de l’autre, nous n’avons d’autres solutions. Nous devons considérer l’autre comme partenaire pour bâtir le pays, si l’objectif est de bâtir la Côte d'Ivoire.

 

Les Ivoiriens de la diaspora, modérateurs

La Côte d’Ivoire, nous appartient à tous mais la Côte d’Ivoire n’est pas isolée dans le monde, elle y a des amis, des partenaires. De la même façon, que les Ivoiriens de diaspora vivent à l’étranger, il y a des étrangers qui vivent en Côte d’Ivoire. Ils sont acceptés par les nationaux de leur pays d’accueil et doivent faire comprendre à leurs parents ici qu’ils doivent accepter de la même manière les étrangers qui vivent en Côte d’Ivoire. Nous ne devons pas nous bagarrer entre nous, nous ne devons pas nous bagarrer avec les étrangers, ça fait trop de combat en même temps à mener. Ces Ivoiriens de l’extérieur sont dans des pays qui parfois sont développés, qui ont la sécurité sociale, qui ont des niveaux de développement, des niveaux d’éducations qu’eux partagent. Ils doivent faire comprendre à leurs parents ici que c’est ainsi que le monde bouge. S’ils sont inquiets de la situation du pays, il faut qu’ils incitent leurs partis politiques à mettre balle à terre et à aplanir les positions. Nous devons nous regarder en face et nous tendre la main, nous mettre au service de la Côte d’Ivoire. http://audace-afrique.com