
La Chine a joué son rôle « d’atelier du monde », obligeant les pays développés à faire des efforts de productivité, de qualité, de valeur ajoutée ; mais elle découvre à son tour qu’il y a des pays où on produit moins cher que chez elle et que la concurrence est une réalité pour tous. Des entreprises occidentales, installées en Chine, délocalisent au Bangladesh ou ailleurs. Même ses réserves de change, les plus importantes du monde, ont baissé au dernier trimestre 2011 et ce n’est pas en achetant massivement de l’or qu’elle réglera ses difficultés. Revendications sociales ou persistance du socialisme ? A s’en tenir là, on resterait dans l’analyse conjoncturelle, n’appelant que des politiques conjoncturelles. La Chine n’a pas échappé au chant des sirènes keynésiennes, et ne s’est pas privée de pratiquer des plans de relance. Elle en prépare d’ailleurs un nouveau, qui mêlerait hausse des dépenses publiques et baisse des taux d’intérêt. Pourtant le mal est sans doute structurel. Il y a d’abord le mécontentement social : les mutations ont été rapides et pour la première fois la population urbaine a dépassé la population rurale. La Chine découvre les revendications sociales en faveur de l’Etat Providence ! Il y a surtout le non choix entre socialisme et capitalisme. Cette question de fond transparaît dans le discours du premier ministre Wen Jiabao, présentant son rapport annuel : « tenir haut la grande bannière du socialisme à caractéristiques chinoises ». Ce n’est pas une simple figure de rhétorique. C’est le signe que la Chine n’a toujours pas renoncé à la voie socialiste, et l’exercice de voltige entre deux systèmes touche sans doute à ses limites : la Chine a fait des pas considérables vers la liberté économique et son développement spectaculaire en est la récompense, mais les ambiguïtés demeurent. La troisième voie c’est l’impasse Entre capitalisme et socialisme, il n’y a pas de troisième voie durable. Aujourd’hui, la Chine demeure une économie mixte. C’est mieux que la planification centralisée, mais on reste dans la logique d’un capitalisme d’Etat. Les entreprises publiques sont encore nombreuses et des monopoles publics existent encore ; les entreprises privées sont loin d’être toutes dans les mains d’entrepreneurs indépendants, mais plutôt dans celles de membres éminents du parti. Les habitudes étatiques sont encore nombreuses, la corruption est omniprésente. Certains médias chinois évoquent « un capitalisme de copinage ». Tous les domaines qualifiés de « stratégiques » sont sous contrôle étroit du parti, y compris banques, téléphone mobile et internet… La Banque mondiale a d’ailleurs souligné la nécessité d’une « diversification graduelle de la propriété » – en clair d’une privatisation.
On peut mesurer le chemin parcouru et celui qui reste à parcourir à partir de l’indice de liberté économique du Wall Street Journal et la Fondation Heritage : la Chine est 138ème, avec une note de 51,2 sur 100, juste la moyenne ; c’est infiniment mieux que ceux qui sont proches d’elle politiquement, comme la Corée du nord (179ème et dernier avec 1 sur 100) ou que Cuba, le Zimbabwe, le Venezuela ou l’Iran. Mais la Chine a fait en gros la moitié du chemin vers la liberté ; cela fait toute la différence avec la Corée du Nord, mais cela fait aussi toute la différence avec les pays réellement libres.
La Chine est à la croisée des chemins. Les zones de contraintes étatiques sont encore fortes et le parti unique et totalitaire, qui brime les libertés civiles, est un frein au développement. Comment avoir une vraie liberté économique sans liberté d’expression ? Comment avoir un fonctionnement harmonieux des institutions de l’économie (propriété, contrat) sans état de droit ? L’exemple chinois montre l’extraordinaire efficacité des libertés économiques, mais il rappelle aussi, dans le stade actuel de son évolution, qu’une économie mixte, un tiers système, n’est pas viable à long terme : il faut choisir car les libertés ne se divisent pas. La Chine est en train de l’apprendre à ses dépens.
Par Jean-Yves Naudet, membre du collège des personnalités qualifiées d’Audace Institut Afrique.
Article publié en collaboration avec Libres.org