
Quelles en sont les finalités ? La finalité d’une aide publique internationale peut être simple, ou multiple. Ainsi peut-elle consister, par exemple, en un équipement ponctuel, limité dans l’espace et le temps (l’installation d’une pompe à eau dans un village) ou en la fourniture d’un ensemble de moyens (matériels et/ou financiers, voire humains) fourni en une seule fois (envoie d’un contingent de médecins avec des équipements de soin, par exemple) ou étalé dans le temps (construction d’un hôpital, financement des salaires des médecins, puis formation de personnel sur place, fourniture de médicaments, de matériel). L’aide publique internationale peut, aussi, consister dans l’octroi d’une aide financière, versée en une ou plusieurs fois et pouvant répondre soit à un fléchage (l’argent doit financer telle ou telle activité) soit correspondre à une volonté claire du donateur de subvenir aux besoins d’une filière, d’une activité, ou d’un secteur. C’est, souvent, dans cette dernière approche que les aides publiques internationales sont orientées. C’est, aussi, le cas de la majeure partie de l’enveloppe qui sera versée par la France à la Côte d’Ivoire. D’un point de vue théorique, la France s’engage à subvenir aux besoins de secteurs vastes, voire vagues, comme l’agriculture, l’éducation, la promotion de telle ou telle approche de développement. En pratique, toutefois, les choses sont bien différentes puisque cette aide va représenter 17 % environ du budget de l’Etat ivoirien pour l’année 2013. Il est donc extrêmement peu cohérent de parler encore d’une aide publique internationale, au sens d’une intervention ponctuelle visant à aider de manière occasionnelle une activité ou une filière mais, plutôt, de remplacer le financement des volontés gouvernementales (qui devraient, au regard du contexte, passer par un ou plusieurs emprunts) par de l’argent « donné » par la France, et payé par les français, via l’impôt. Or, dépendre financièrement d’une autre nation pose une multitude de problèmes, tant en terme de gestion de ses finances qu’en terme de souveraineté. Une aide déconnectée des besoins réels : l’exemple agricole. La Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial de cacao, avec environ 1 200 000 tonnes produites par an. A cette manne financière s’ajoutent les métaux précieux, et diverses ressources fossiles. Or, l’agriculture ivoirienne ne se développe que peu, voire pas. Il existe différents freins à ce développement, mais le premier est l’absence de droit de propriété opposable en justice. La loi de 1998, portant création du code foncier rural, étant censée garantir la délivrance de certificats fonciers puis de titres fonciers. La propriété des terres, ainsi garantie, aurait permis aux producteurs, y compris aux plus modestes, d’accéder aux emprunts bancaires, puisqu’ils pouvaient hypothéquer leur bien. A partir de ces emprunts, l’agriculture aurait pu se développer par l’investissement direct (les producteurs empruntent pour améliorer leurs modes de production, voire pour diversifier leur exploitation) ou par des investissements extérieurs (investissements étrangers, comme c’est le cas dans la majorité des pays émergents). Pourtant, rien n’est fait dans ce sens ; les chiffres sont éloquents : depuis 1998, 200 titres fonciers ont été délivrés, ce qui représente 1,5% de la surface agricole du pays. Si l’aide internationale publique était cohérente, elle ne viserait pas à assurer le financement de l’Etat, de ses services et de ses marchés publics (dont l’octroi est souvent discutable, faute de transparence et d’appel d’offre) mais porterait sur des leviers de développement aussi fondamentaux que le droit foncier, le secteur agricole dans son potentiel innovant et durable, créateur de richesse et de plus-value (pierre angulaire de l’économie ivoirienne), et plus largement de la sous-région. Il faut donc souligner l’étrange paradoxe entre la volonté affichée « d’aider » la Côte d’Ivoire, à grands renforts de millions, mais sans prendre la peine d’analyser ses typicités et, surtout, ses besoins. Ainsi, l’aide publique internationale pourra continuer à subventionner l’agriculture ivoirienne, lui offrant du matériel et des fonds. Or, cette aide ne sera jamais efficace, car elle ne permet pas une vraie indépendance de ceux qui la reçoivent. En maintenant la filière sous perfusion, en l’artificialisant, les pays qui versent ces sommes participent à la mort de l’agriculture et, plus largement, de l’économie ivoirienne qui, coupée de toute réalité de marché, ne pourra jamais parvenir à l’émergence en tendant la main. Aussi longtemps que l’aide publique internationale, en matière agricole par exemple, ne servira pas à financer un plan national de cadastralisation, l’agriculture ivoirienne restera dépendante des volontés étrangères, les mêmes volontés étrangères qui, ensuite, vont acheter son cacao. Le problème semble ici commencer à s’affirmer : que se passerait-il si la Côte d’Ivoire, devenue financièrement indépendante, n’avait plus besoin de tendre la main auprès des pays « riches » ? Cette question, fondamentale, mérite d’être posée car elle peut, pour partie, justifier l’absence de volonté de ces mêmes nations à financer des réformes réelles et durables permettant une vraie liberté au Peuple ivoirien. Si, dans un avenir proche, le code foncier rural, pour n’emprunter que cet exemple, permettrait plus aisément la reconnaissance de la propriété de la terre (soit particulière, liée à une personne, soit collective, pour certains droits coutumiers), il garantirait l’essor qualitatif de la production agricole par l’emprunt (via de nouveaux investissements). Par l’essor qualitatif, une augmentation des prix sur le marché mondial ; par l’essor des prix sur le marché mondial, une rémunération juste des producteurs ; par une rémunération juste des producteurs, une hausse de leur niveau de vie, et de leur pouvoir d’achat ; par la hausse de leur pouvoir d’achat une revitalisation de l’économie ivoirienne. Si toutes ces conditions étaient permises par un droit aussi « simple » que la reconnaissance du caractère fondamental de la propriété privée, à la base de tout système de droit, et d’économie, durable et pérenne, la Côte d’Ivoire pourrait tirer profit de la globalisation des échanges en allant vendre, par le biais de ses producteurs (et non plus de l’Etat, ou d’intermédiaires imposés) son cacao là où son prix est le plus élevé, n’acceptant plus de se laisser dicter un cours officiel encadré, comme en ancienne URSS, par quelque volonté politique (il faut, d’ailleurs, trouver dans cet exemple historique la marque, et la preuve, de l’échec programmé de tout système planifié : en coupant l’économie de l’Homme, qui est sa cellule fondamentale, est engendré un système artificiel. Par son artificialité, ce système est condamné à disparaître). Or, quel intérêt a la communauté internationale à encourager l’indépendance réelle de la Côte d’Ivoire ? La réponse est simple : aucun. Si la Côte d’Ivoire est économiquement indépendante, elle n’aura plus à rendre de compte sur sa gestion financière (l’aide est toujours accompagnée de contrepartie) ; elle n’aura plus à mendier pour obtenir de quoi financer sa défense (fragilisant ainsi le régime qui réclame ce soutien et l’exposant à de multiples ingérences étrangères dans ses choix stratégiques) ; elle n’aura plus, non plus, à prendre en compte les impératifs des pays qui la subventionnent lorsqu’il s’agit de fixer le prix du cacao pour garantir aux grands pays consommateurs un tarif abordable, permettant ainsi de dégager un maximum de marges, au détriment des producteurs, souvent traités en esclaves et maintenus dans la misère par un sur-encadrement de la filière. Dès lors, il est assez difficile de considérer l’aide publique internationale comme pouvant être profitable à l’agriculture ivoirienne, puisqu’elle ne cible pas le vrai problème ivoirien, en méconnaissant ses particularités, mais aussi les besoins réels de ceux qui la font vivre. Il est fort à parier que l’aide internationale publique française, si elle est versée à l’agriculture, ne servira ni à améliorer les conditions de travail des producteurs, ni leurs rémunérations : ce n’est pas par la charité que l’on rendra leur dignité à ces hommes et à ces femmes, mais par la reconnaissance de leur propriété sur les terres qu’ils exploitent depuis toujours. Aussi longtemps que le cadre légal ne sera pas amélioré afin de permettre la délivrance de titres fonciers, l’agriculture ne pourra se développer correctement, et encore moins recevoir des investissements, pourtant fondamentaux, à sa croissance durable ; l’aide internationale publique, ici, trouve ses limites dans son inadéquation chronique au cadre structurel ivoirien tout autant qu’à son absence de miscibilité dans l’économie ivoirienne, sans y être potentiellement toxique.
Aide publique internationale et solidarité : la quadrature du cercle de la charité. L’aide publique internationale est souvent présentée comme un prolongement vertueux de l’idée de solidarité, voire de charité, entre une personne qui possède beaucoup, et une personne qui possède peu, ou moins. Or ce rapprochement est une erreur, tant sur la forme, que sur le fond. De prime abord, la charité ne peut être considérée que comme le don, volontaire et gratuit, d’une personne physique à son semblable. La gratuité, logiquement, n’implique pas de retour, et encore moins de calcul sur le long terme d’hypothétiques retours sur investissement, voire des bénéfices. Dès lors, l’aide internationale publique, qui prévoit, à court, moyen, et long terme, un ensemble de retours, qu’ils soient directs (marchés publics confiés à des entreprises du pays qui donne) ou indirects (futurs marchés publics ou garantie de maintenir les produits nationaux sous contrôle pour garantir la sécurité des approvisionnements), ne peut être rapprochée de l’idée de charité. Pourtant, l’essence même de l’idée de charité appelle plusieurs remarques, une fois passées les considérations sur le calcul de retours, annihilant l’idée de gratuité. En effet, fondamentalement, la charité est un acte gratuit et volontaire entre deux individus, libres. Or, la Côte d’Ivoire n’est pas une personne physique, tout comme la France (même si l’hyper-présidence rend parfois cette idée discutable) n’est pas un être vivant au sens où l’est un individu. Il n’est donc pas cohérent de parler de solidarité entre des groupes (la France est composée de groupes humains, tout comme la Côte d’ivoire) sans que leurs consentements ne soient jamais demandés. Pis encore, un Gouvernement considéré comme représentatif ne devrait pas avoir la prétention de créer des « solidarités », voire de « faire la charité » (ou plutôt avoir l’impression de la donner) avec l’argent des impôts. Dès lors il est à craindre que cette fausse solidarité, imposée par les Gouvernements, remplace peu à peu l’essence même de la solidarité réelle, la privant et de sa substance (plus les impôts sont élevés et moins les gens peuvent donner volontairement aux structures de la société civile pour financer des actions caritatives) et de sa finalité, à savoir aider réellement les individus qui en ont besoin. Toutefois, au-delà de ce bouleversement paradigmatique, c’est toute l’affirmation du dévoiement du pouvoir de l’Etat qui s’affiche. En s’octroyant une sorte de prééminence charitable, ne peut-on y voir le signe, clair, d’une volonté de priver la solidarité entre les personnes de toute sa raison d’être ? Fondamentalement, la charité est un acte de foi (dans les religions issues du livre : judaïsme, catholicisme, islam) qui renvoie à la solidarité des membres appartenant à une même communauté. La charité est, en fait, l’affirmation de l’appartenance à la communauté des croyants, matérialisée par l’immolation volontaire d’une partie de son individualité au profit du plus grand nombre, renforçant ainsi le sentiment d’appartenance. Se superposent alors devoir moral et devoir religieux, tant d’un point de vue social (le sentiment d’appartenance à un groupe) que d’un point de vue intellectuel, philosophique et religieux. L’individu renonce à une partie de son « je » pour un « nous » religieux, transcendant. Or, le fait de dénaturer la solidarité volontaire, voire la charité, est une erreur grave qui, en réduisant les sentiments d’appartenance aux groupes (religieux, sociaux), dégrade l’ensemble du tissu social qui y trouvait une forme identitaire affirmée, fondamentale à son unité. A cette dégradation du tissu social, qui était auparavant renforcé par les phénomènes spontanés de solidarité, et de charité, s’ajoute une dégradation de la valeur humaine de ces phénomènes. Ainsi, la charité n’a d’intérêt que si elle est un acte volontaire de renoncement à une partie de son bien, au profit d’une personne moins chanceuse, malade, ou moins favorisée pour une multitude de raisons. En s’emparant de ce phénomène, l’Etat le prive de sa raison d’être. D’un point de vue éthique, l’acte ne peut être considéré comme de charité que s’il émane d’une personne libre qui, en conscience, va décider d’agir de telle ou telle manière. Or, on ne peut considérer que les décideurs de l’aide internationale publique forment une réflexion en conscience, puisqu’ils ne sont pas à la base de son financement (ils se bornent à décider quels fonds lever, et dans quel volume, mais ne payent pas sur leurs propres revenus la totalité des sommes engagées, comme c’est le cas pour un particulier), et disposent surtout d’un pouvoir de contrainte pour forcer les personnes qu’ils engagent à obéir et les contraindre à une pseudo-solidarité avec ceux qui vont recevoir les fonds (les prélèvements, pour financer l’aide publique internationale, étant obligatoires). Enfin, l’aide publique internationale ne peut être considérée comme une solidarité réelle, voire comme un acte de charité, même laïque, puisqu’elle n’est souvent pas destinée à des personnes précises (privant ainsi l’acte éthique de son fondement interpersonnel) mais est tournée vers un objectif, lequel sera concrétisé par des financements ciblés (dans le cas présenté plus haut, la France donne une enveloppe globale qui doit ensuite être fractionnée et servir à financer plusieurs grands secteurs par exemple). Il n’est donc pas non plus cohérent de retenir, pour déduire le caractère éthique, le fait que cette aide publique internationale puisse concerner un groupe précis (les agriculteurs) puisqu’elle n’est pas destinée à les aider directement mais à encourager des programmes sensés être utiles à la filière. Pour comprendre la différence entre ces multiples typicités qui vont permettre, ou pas, l’acte éthique, il semble intéressant d’emprunter un exemple. L’Eglise a, déjà, par divers organismes de charité, fait soutenir des coopératives de femmes en Côte d’Ivoire. Or, elle n’a été qu’un intermédiaire « immatériel » (un relais d’informations) encourageant des donateurs volontaires à financer une activité précise, sur une population donnée, et avec une certaine limite dans le temps. Si elle était intervenue en tant qu’Etat, et avait levé des impôts sur sa population, la valeur éthique de cette action aurait été nulle : on ne peut forcer les individus à être solidaires. Or, elle est intervenue en tant qu’intermédiaire, en partageant la nécessité d’aider des programmes concrets en Côte d’Ivoire. Les croyants, spontanément, ont accepté de participer, financièrement, à ces actions. Leur argent a donc transité pour arriver, directement, sur place : l’institution, dans ce cadre, n’est pas un frein à l’acte éthique, elle n’en est qu’un moyen, une modalité de réalisation qui permet la concrétisation de la volonté libre d’être charitable avec son prochain. Lorsqu’il y a contrainte, voire artificialisation totale de l’idée de solidarité, comme c’est le cas avec l’aide publique internationale, les fonds transitent sans valeur éthique, quand bien même ils serviraient à financer des œuvres qui auraient pu, si elles avaient été voulues librement, avoir une valeur éthique. Cette idée, qui peut surprendre, est la même qui a fait rappeler à la conférence des évêques de France que les fonds de placement « catholiques » ne peuvent, même s’ils tendent à financer de bonnes et saines actions, être levés à partir d’activités condamnées par la doctrine. L’aide publique internationale suit la même logique : parce qu’elle est imposée, elle ne peut être éthique. Aide publique internationale et corruption : la Côte d'Ivoire 130e sur 174 (Transparency International) Une gestion éthique, en entreprise, présuppose la limitation, au maximum, des risques pris avec l’argent de ses clients, ou de ses actionnaires. Ainsi un patron qui dépenserait sans compter l’argent de ses investisseurs finirait soit par être renvoyé, soit par aller en prison, si la justice pénale s’occupe d’affaires économiques. Dès lors, on peut considérer que ce chef d’entreprise a intérêt, pour diverses raisons, à gérer le patrimoine qui lui est confié en bon père de famille. La première de ces raisons est, simplement, qu’une bonne gestion garantit le caractère pérenne de sa position. La seconde est le risque de la sanction légale, sous la forme d’une amende, voire d’une confiscation de ses propres biens (certaines constitutions de sociétés prévoient que les cosignataires s’engagent, sur leurs biens personnels, à garantir la solvabilité de l’entreprise) ou une poursuite judiciaire par les autres membres qui constituent le corps décisionnel de la structure. Dans une structure économique durable, une entreprise ou une forme mutuelle, les dirigeants sont liés aux personnes qui travaillent par un ensemble de responsabilités réciproques qui garantissent le maintien, dans le temps, voire le développement, de l’ensemble. Si un individu s’éloigne du respect nécessaire à l’autre, la personne est libre de partir, ou de demander une sanction, y compris s’il s’agit de son directeur. Les structures étatiques, quant à elles, garantissent une presque impunité à leurs membres dirigeants. A cela s’ajoute l’irresponsabilité des décisions, et de leurs conséquences : ainsi, un politicien qui décide d’endetter son pays au-delà de toute raison, par exemple en continuant à pratiquer la relance de l’économie par la dépense (cette théorie, proposée par Keynes, n’a jamais fonctionnée vraiment), ne sera pas sanctionné. Un chef d’entreprise qui porterait sa structure vers le défaut de paiement de ses dettes, puis vers la faillite pourrait, lui, être condamné par la justice si sa faute est prouvée. C’est là la triste réalité de la Grèce, par exemple, dont le Parlement a continué à acter les emprunts, les uns après les autres. Or, cette attitude est condamnable car elle tire le Peuple grec dans la misère, alors même qu’il n’a jamais librement contracté ces emprunts mais dont il est, pourtant, responsable, puisque ses impôts serviront à les rembourser. A ces considérations d’irresponsabilité de position, il faut insister sur les données de Transparency International qui, chaque année, publie un classement mondial des pays en fonction de leur degré de corruption. La Côte d’Ivoire arrive 130 ème sur 174 nations classées. Ce chiffre, inquiétant, appelle une multitude de remarques qu’il nous faut synthétiser. La première est que l’Etat ivoirien est malade de la corruption. Et que cette maladie de la corruption, cette habitude politique et administrative, s’est répandue comme une gangrène dans toutes les strates de la société ; à cette gangrène s’ajoute la multiplication des structures administratives et des possibilités de détournement d’argent (multiplication des règlementations, des formulaires, des dossiers, des autorisations). Plus l’Etat sera présent, dans des secteurs où il n’est pas nécessaire, et plus la corruption sera importante et coûtera cher à la population. Le coût de la corruption est multiple : les « prélèvements directs » imposés, par exemple dans les rues, par des hommes armés. A ces prélèvements s’ajoutent les impôts, qui servent à financer la dette, la dette finançant les activités de l’Etat, lesquelles sont gonflées par les fonds détournés par les personnes corrompues. Plus la corruption est importante, plus les sommes englouties sont importantes. Plus elles sont importantes et plus les montants empruntés le sont aussi ; montants auxquels viennent s’ajouter les intérêts. Or, que fait l’aide publique internationale ? Elle vient remplacer l’argent que le pays, ici la Côte d’Ivoire, devait emprunter. Elle suit donc le même chemin que les impôts, et les sommes prêtées par les marchés financiers en temps « normal ». Elle irrigue donc, avant tout, un système étatisé de corruption, qui a institutionnalisé le vol issu du travail des populations ivoiriennes (l’argent des impôts) et de l’aide publique internationale reçue depuis plus de 30 ans, sans effet réel sur l’économie ivoirienne (l’argent d’autres travailleurs, d’autres pays). La réflexion quant au caractère éthique de l’aide internationale publique a donc beaucoup avancé : liminairement, nous avons posé en principe que l’acte éthique découle obligatoirement de la volonté libre d’une personne, exposant ainsi l’inadéquation chronique d’une démarche étatique contrainte, et contraignante, à une forme imposée de solidarité. L’origine des sommes est donc discutable. Nous venons maintenant de poser les fondements d’une réflexion sur la structure censée récupérer ses fonds, puis les employer. Au-delà de toute considération politique, nous avons mis en avant le caractère dangereux de cette aide, puisqu’elle finance, avant tout, la corruption. Il convient maintenant de dégager les conséquences, pour la Côte d’Ivoire, de cette aide publique internationale avant de refermer notre réflexion sur les liens qu’elle pourrait entretenir avec l’éthique économique. Quelle indépendance pour un budget financé à presque 20 % par l’étranger ? La souveraineté de la Côte d’Ivoire importe beaucoup aux ivoiriens. Le Président Houphouët Boigny l’avait compris et la vie politique, à partir de l’indépendance, verra s’affirmer l’idée d’ivoirité. Voici posée, intellectuellement, une limite entre ceux qui sont ivoiriens, et les autres. Derrière cette volonté, strictement politique, se cache aussi un certain idéal de la Nation, et donc du Peuple, ivoirien : vivre ensemble, unis dans la diversité (des ethnies, des tribus). Or, l’indépendance d’un pays découle d’un ensemble de prérogatives laissées au pouvoir politique, lesquelles sont le fruit d’une condition une et indivisible : la souveraineté. La souveraineté se réalise par la capacité à faire du droit (création de normes, d’un cadre légal, affirmation d’une Constitution et d’une hiérarchie des normes) et à dire du droit (rendre la justice). A partir de ces deux grandes conditions de la souveraineté vont se manifester les prérogatives considérées comme régaliennes, de la frappe de monnaie à la levée de l’impôt, jusqu’à son utilisation, mais aussi la sécurité du pays, et les grandes orientations politiques. La Côte d’Ivoire, toutefois, a une histoire particulière. En tant qu’ancienne colonie, sa structure juridique est encore largement inspirée du droit colonial français ; cet héritage explique, par exemple, l’inadéquation chronique de son système de droit foncier rural aux réalités coutumières, mais aussi à la non prise en compte des spécificités ivoiriennes, rendant le système presque inapplicable. Son système monétaire, quant à lui, n’est pas le fruit de la souveraineté nationale, la zone franc ayant sa propre administration, et est aussi inféodée au trésor public français, qui décide notamment de maintenir le taux de change fixe (1 euro = 655,957 fcfa). La forme même de l’Etat ivoirien est, pour partie, un calque de l’ancienne administration française, tout comme la répartition des pouvoirs et l’équilibre des fonctions dans l’administration. Dès lors, la prérogative laissée au pays est de faire du droit, et de dire du droit. Or, l’indice de la corruption dans le monde l’indique très bien, l’Etat ivoirien est extrêmement présent dans la vie des populations. Dès lors l’appareil de justice, censé être le prolongement du Droit, le sera aussi. A cette considération il faut toutefois objecter que, si l’Etat ivoirien est indépendant, il doit ne pas dépendre financièrement d’une autre Nation, ou d’un autre Peuple. Si le Gouvernement ivoirien veut être libre, et si la représentativité pour faire du droit veut se manifester librement, la conscience des représentants ne doit être guidée que par l’intérêt supérieur de la population. Toutefois, pour 2013, 17 % du budget de l’Etat ivoirien sera apporté par la France, pays extrêmement lié à la Côte d’Ivoire en raison de son passé colonial, mais aussi par sa récente intervention dans la crise post-électorale. Si la France retirait cette aide, ou plutôt ne la versait pas, l’Etat ivoirien, déjà surendetté, et donc de moins en moins solvable, devrait retrouver le chemin de l’agonie budgétaire, agonie sans cesse accélérée par la corruption et l’absence de dynamique économique durable dans le pays. Dès lors, où est la souveraineté de la Côte d’Ivoire à faire du droit, par elle-même et pour elle-même, si l’argent qui permet à l’Etat de survivre découle d’une volonté étrangère ? Et surtout, qui oserait refuser quelque chose à la France, si elle le demande en Côte d’Ivoire ? Il est donc difficile de parler d’indépendance dans ces conditions. Si l’on peut admettre que la souveraineté a été proclamée, les faits quant à eux montrent, et démontrent, la persistance de vieilles habitudes coloniales. Or, c’est avant tout par l’aide publique internationale, réclamée sans cesse par les dirigeants africains, cette aide même qui maintient les peuples en esclavage, que transitent les chaînes qui entravent les économies de la sous-région, et les retiennent loin de l’émergence. Dès lors la première des « aides » que l’Afrique en général, et plus particulièrement la Côte d’Ivoire, peut s’apporter, consiste à refuser la politique de la main tendue en la remplaçant par une recherche constante d’innovation et d’indépendance vis-à-vis des Etats, et des structures publiques. C’est par une économie libre, et une société civile forte, centrées sur l’ouverture au monde et la conquête permanente de nouveaux marchés et de nouveaux horizons économiques, que la Côte d’Ivoire sortira de la condition de misère injuste et immorale dont des années d’étatisme et de guerre accentuent chaque jour le poids sur les populations. Tout comme l’aide publique est une perversion de l’essence même de la charité, et de la solidarité, car elle détourne l’individu de ses aspirations fraternelles, la liberté et la responsabilité rappelleront aux hommes leur appartenance à une même communauté, et à la nécessaire ouverture vers l’autre pour apprendre, et s’enrichir. Par une société ouverte, et une économie portée vers les autres, les ivoiriens pourront retrouver leur dignité, partager leur culture, mais aussi s’abreuver à la coupe de la prospérité, partagée par ceux qui osent frapper à la porte et s’asseoir à la table du monde. Or, longtemps la Côte d’Ivoire a attendu qu’on lui offre un tabouret ; demain, elle devra venir avec sa chaise, fabriquée dans un bois qu’elle aura coupé et séché, puis travaillé. C’est par la valeur ajoutée, par l’innovation humaine, par l’apport de la main et du geste, que se créent les richesses morales et matérielles. L’ivoirien n’est pas un enfant qui a besoin que l’Occident l’autorise à venir à table, ou à parler. Il est, comme les autres, frère de tous les Hommes. Il doit, par la liberté, la propriété –qui est un droit naturel fondamental- et la responsabilité –qui va de pair avec le libre arbitre-, faire son devoir d’être Homme. C’est là son devoir moral que de se lever et de ne plus prendre les miettes tendues par une main qu’il nourrit par sa sueur, et souvent par son sang ; c’est son devoir moral que d’être un homme debout qui, comme d’autres, se sont levés et ont dit non, car ils ont eu le courage de faire un rêve.
Par Nicolas Madelénat di Florio, Enseignant chercheur associé au Centre de Recherches en Ethique Economique et des Affaires, Faculté de Droit et de Science Politique, Aix en Provence. Une analyse réalisée dans le cadre du partenariat AIA – CERAP. Vendredi du CERAP du vendredi 9 novembre 2012.