
Surtout parce que l'indépendance de l'Afrique s'est déroulée dans le contexte du monde bipolaire de la guerre froide, les dirigeants africains indépendants, à de rares exceptions, eurent un faible pour le socialisme. Ce genre de sentiment dominant anti-impérialiste et anticolonial lors de l'indépendance du continent poussa de nombreux dirigeants africains à commettre une erreur majeure en termes de manque de préscience. La plupart d'entre eux, comme Mwalimu Julius Nyerere et Kwame Nkrumah, menèrent leur pays dans une spirale socialiste dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui dans ces pays. Sans doute un fait plus révélateur est-il que la première génération de dirigeants africains n’a pas été remplacée par dirigeants visionnaires et intelligents, en particulier lorsque les premiers ont été débarqués par des coups d’État. L'Afrique a donc souffert d'une « transition permanente » et sans fin entre un mauvais dirigeant et un autre mauvais dirigeant. Au Kenya, le régime de Jomo Kenyatta, accusé de tant d'assassinats politiques, a été remplacé par le régime de Daniel Moi, qui a mené une répression encore plus violente. Le voisin ougandais a eu sa part de leadership catastrophique, de Milton Obote à l’impitoyable Idi Amin Dada et maintenant avec Yoweri Museveni qui s’est illustré lui aussi par des pratiques dont ses prédécesseurs étaient si souvent friands, notamment la répression de l'opposition et des médias. Les dirigeants africains, des montagnes de l'Atlas au Maroc aux montagnes de la Table en Afrique du Sud, de la Côte d'Or à l'Ouest à la Corne de l'Afrique en Somalie partagent un trait qui les distingue des autres leaders mondiaux : la passion de soi-même. Les dirigeants africains s’aiment eux-mêmes et forcent presque sans aucun doute leurs sujets à cet amour, jusque dans leurs cordes vocales. Des dirigeants comme Mobutu inventaient des expressions comme : Mobutu Sese Seko Nkuku WA Zabanga qui signifiait Mobutu le guerrier qui va de victoire en victoire sans que personne ne puisse l’arrêter. Partout en Afrique, les dirigeants africains ont inventé ce genre de noms pour perpétuer le mythe de l'infaillibilité qui tourne autour d'eux. Julius Nyerere, pour sa part, commença à s’appeler lui-même Mwalimu, qui signifie en swahili « enseignant », dans une tentative pour s’attirer la vénération de ses citoyens.
Mandela est une rareté au sein de ce leadership africain, en ce sens qu'il ne souffre pas de la même passion de lui-même. Il était et est toujours un dirigeant désintéressé, il s’est donné à la liberté. Il a pu déclarer : « J'ai chéri l'idéal d'une société libre et démocratique. C'est un idéal que j'espère accomplir, en vivant pour lui. Mais s'il le faut, c'est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir ».
Mandela avait une vision assez claire de ce qu'il voulait que soit l’Afrique du Sud, il n'a pas contrarié son pays comme tant de dirigeants africains avant lui. « La réconciliation et la construction nationale resteront des vœux pieux si elles ne sont pas fondées sur un effort concerté pour éliminer les véritables causes du conflit et de l'injustice passés ».
Mandela mérite d'être placé sur un piédestal, il mérite d'être considéré comme une incarnation exemplaire du bon leadership en Afrique. Cela dit, l'Afrique et le monde doivent se préparer à affronter la mortalité de cet homme, même si son héritage restera immortel. Nous devons laisser Mandela partir tranquille, et peut-être son départ permettra-t-il d’ailleurs de déverrouiller les chaines serrées par quelque leader africain autour de son peuple. Alex Ndungu Njeru est analyste sur AfricanLiberty.org, le 24 juin 2013.
Cet article a été publié originellement en anglais sur AfricanLiberty.org.
Publié en collaboration avec Libre Afrique