Pourquoi l’État africain est-il fort mais défaillant?

Un trait commun aux idéologies et aux stratégies du développement a été d’assigner à l’État la responsabilité principale du développement. Pour légitimer leur pouvoir, les dirigeants mettent en avant les mythes du développement et de la construction nationale. État fort ou défaillant ? Pourtant, si l’on fait un bilan depuis les indépendances, on ne peut que constater le double échec à la fois du développement et de l’État. Mais certains intellectuels continuent d’affirmer que l’Afrique a besoin d’États forts pour se développer. Il demeure cependant un flou sur ce qu’est l’État et sur la manière de mesurer sa force. Un État fort, selon eux, serait celui qui a « les choses en main », qui dirige, planifie (au risque d’écraser les populations). État interventionniste est synonyme de dépenses publiques importantes, ce qui crée des déficits et donc de l’endettement. L’État est alors faible car dépendant. L’ingérence de l’État dans tous les domaines favorise l’État rentier dont l’économie est peu diversifiée. Le manque de recettes hors rente conduit aussi à la faiblesse de la dépendance financière. Soulignons que ces États sont souvent captifs des partis politiques, des groupes ethniques et autres lobbies qui les rendent fragiles dans la perte d’autonomie. L’indice des États défaillants (Fund for Peace), les index de la liberté économique (Fraser, Heritage), l'indice de développement humain (Pnud), nous montrent qu’un État fort est plutôt celui qui procure le bien-être aux populations et qui est fondé, avant tout, sur les droits et les libertés des populations au nom desquelles il existe et gouverne. Plus les populations sont libres et prospères plus l'État est fort et moins elles sont libres et prospères moins l'État est fort. Si l’on observe le cas de la Côte d’Ivoire, présentée comme un exemple d’Etat fort dans la sous région Ouest africaine, on constate pourtant qu’elle figure parmi les états les plus défaillants au monde : 12ème/178 (notons que pour cet index, plus l’état est défaillant plus il est en tête du classement, la douzième place est donc très préoccupante) Ce classement du pays dans les Etats défaillants contraste avec sa présentation habituelle comme un Etat fort ; dans l’index Mo Brahima de la bonne gouvernance, on la retrouve à la 44ème /52 ; au niveau de la liberté économique, l’Heritage foundation la classe 126ème/185 et enfin, l’index de la démocratie de The Economist Intelligence Unit la classe 136ème /167 pays. Ainsi, un État fort  selon ces outils d’évaluation, c’est plutôt  « l'État minimum » ou encore « l'État maitrisé » mais nullement l’État omniprésent socle de la prédation. Ce dernier est totalement incompatible avec le développement. Sur le sujet, Jean-François Médard , dans un article toujours très actuel intitulé « l’État patrimonialisé », nous éclaire sur les dangers et les limites des états prédateurs ancrés sur le continent gardant les populations dans la pauvreté depuis des décennies. La conception autoritaire et absolue de la force doit muer en une analyse qui part du bas et non plus du haut. C’est en effet un état au service des citoyens et des entreprises, seules créatrices de richesses dans un pays, qui pourrait permettre au continent de se développer. C’est dans cette subsidiarité qu’il pourra afficher sa force.

L’Afrique captive d’états forts-mous.
JF. Médard souligne clairement l’inefficacité d’un État tout puissant : « L’État en Afrique peut être décrit simultanément comme un État fort et un État mou. État fort, parce qu’État autoritaire reposant largement sur l’arbitraire et la violence exercée hors de tout cadre légal. Cet absolutisme va de pair avec une telle inefficacité que cet État fort est en réalité largement impuissant, malgré sa capacité de nuisance, car il est incapable de traduire les objectifs qu’il se donne en politique effective. » Il souligne le caractère prédateur de l'État africain à l’égard de la société, parlant d’État parasite, kleptocrate : « Un État est considéré comme prédateur si, se nourrissant de la société, il ne rend pas à cette dernière des services suffisants pour justifier son existence. De plus, la ponction prélevée par les agents de l’État est perçue comme prédation parce qu’ils la prélèvent à leur profit personnel et non à celui de l’État. Chacun exploite sa position publique comme une prébende. Chacun se crée un système personnel de pouvoir qui parasite l'État » Il est donc clair qu’un tel État est dans l’impossibilité d’assumer la responsabilité du développement puisque sa finalité est l’accumulation des ressources politiques et économiques de ses agents. Le politicien, dans ce contexte, s’évertue à accumuler des ressources dans une perspective de consolidation de son pouvoir et de sa survie politique. « C’est la raison pour laquelle, les chefs d’État paraissent les premiers fossoyeurs de l’État. » Quel État pour une Afrique prospère ? L’auteur propose de : « réaménager l’État, non seulement en le réduisant quantitativement, mais en le limitant, le contrôlant, le maîtrisant. Problème  immense car ces propositions supposent toujours le problème résolu. Une chose paraît sûre : il n’y a pas de solution sans l’adoption de mécanisme institutionnel visant à responsabiliser les dirigeants vis-à-vis des dirigés, à les obliger à rendre des comptes » Idée également défendue par Wole Soyinka qui affirme que : « La plus grande menace pour la liberté est l'absence de critique » En ce sens, un éveil citoyen est essentiel pour contrôler et critiquer l’action des dirigeants et pour focaliser le combat sur la demande de liberté économique qui, partout dans le monde, a aidé le progrès : une multitude d’entreprises libres devraient permette d’initier le déclin du système de prédation. Gisèle Dutheuil, directrice d'Audace Institut Afrique, analyste pour Libre Afrique.