« La contrefaçon – un cancer sociétal, enjeu national »

Chacun sait plus ou moins qu’il est interdit par des lois relatives à la propriété industrielle et intellectuelle, de reproduire sans autorisation des articles et des identifiants de marques protégés, d’en faire le commerce en trompant les consommateurs, mais aussi de les acheter. L’appât du gain et le cynisme des profiteurs s’alimentent de la méconnaissance ou de l’indifférence des consommateurs. Encouragés par le laxisme voire l’exemple désastreux de la complicité de représentants de la loi et de personnalités politiques et d’affaires, les citoyens-consommateurs ne sont pas toujours conscients non seulement des sanctions qu’ils encourent, mais surtout des nuisances auxquelles cette activité criminelle les expose, individuellement et collectivement. En effet, l’effet intégrateur et amplificateur de la mondialisation fait que, de nos jours, accomplir le geste simple d’acheter localement un produit contrefait, c’est apporter sa modeste mais réelle contribution financière à une vaste chaîne criminelle dont les ramifications et les enjeux dépassent largement les frontières d’un pays. Qu’il s’agisse de denrées alimentaires en provenance d’Amérique latine et centrale, de produits manufacturés dont textiles et électroniques ou de santé en provenance notamment d’Asie quoique de plus en plus fabriqués sur le continent africain, le coût économique et financier de cette part significative de l’économie informelle, qui porte sur des centaines de milliards de dollars US, se double d’un coût social et humain multiforme incalculable : manque à gagner de taxes nécessaires aux dépenses d’intérêt général d’un pays, danger sécuritaire et sanitaire pour les consommateurs, fragilisation d’entreprises par concurrence déloyale envers les opérateurs légaux et soucieux de leur responsabilité sociale, précarisation et suppression d’emplois, etc. Véritable cancer sociétal, le trafic de produits contrefaits peut littéralement tuer une filière économique légale en moins d’une décennie si celle-ci ne développe pas à temps des défenses immunitaires efficaces tout en bénéficiant de la protection d’un environnement sain. De fait, le moindre trafic local est désormais le maillon solidaire d’une « chaîne internationale du crime » qui alimente les formes les plus nocives de criminalité dont le volume, la valeur et l’efficacité ne cessent de croître à l’échelle mondiale, en particulier les trafics de drogue et d’armement eux-mêmes alimentés par des trafics en apparence plus inoffensifs d’où des potentats locaux, des Etats faillis et les mouvements terroristes fondamentalistes puisent leurs ressources. Or, le continent africain, globalement en voie de décollage et d’intégration économique malgré des disparités importantes selon les pays, offre de ce fait un terreau favorable à l’apparition ou à l’aggravation des formes les plus graves de criminalité économique et financière, en particulier le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme dont la corruption endémique, la fraude généralisée et les carences en matière de gouvernance sont les vecteurs. En Afrique de l’ouest, la bonne nouvelle que constituent le retour à la stabilité politique et l’amorce du redécollage économique de la Côte d’Ivoire, a un impact positif déjà perceptible dans les pays de la sous-région. Corollaire naturel du développement, le phénomène de criminalisation représente un défi majeur par sa faculté d’adaptation de modes opératoires et de techniques toujours plus sophistiqués et dématérialisés. Du Sénégal au Nigéria en passant par les pays côtiers et environnants, les réseaux maritimes, terrestres et aériens d’acheminement de produits contrefaits ou d’importation illicite n’ont pas tardé à se réorganiser grâce à des complicités locales dans les sphères publiques et privées. En Côte d’Ivoire, au cœur de la sous-région ouest africaine, les effets des dernières crises se font toujours ressentir et le pays reste un espace propice aux trafics de produits illicites ou contrefaits par voies terrestre et maritime. L’Etat de droit ayant peine à se rétablir, une certaine solidarité économique de fait persiste entre militaires est commerçants locaux. Au nord-ouest, l’état dégradé des infrastructures routières frontalières avec la Guinée limite de moins en moins un flux croissant d’importation illégale de produits périmés, non déclarés ou interdits en provenance de Gambie, du Sénégal et du Mali. Alors qu’au sud-ouest le mauvais état des routes en provenance du Libéria limite naturellement les trafics, au sud-est le trafic routier en provenance d’Accra et Tema, de Lomé et de Cotonou par le corridor reliant Lagos à Abidjan, est le théâtre quotidien d’une chaîne continue de complicités. Celle-ci implique l’ensemble des acteurs depuis les fournisseurs jusqu’aux revendeurs en passant par les transitaires, les transporteurs, des forces de l’ordre et des autorités de contrôle concurrentes, des acheteurs intermédiaires ainsi que des autorités publiques et privées. Il en va de même pour le port d’Abidjan par lequel arrivent des volumes considérables de marchandises déclarées en transit mais qui « tomberont des camions » sur le territoire ivoirien. Ainsi, la maîtrise de ce phénomène en aggravation constante requiert une prise de conscience collective de sa gravité, une approche lucide et sans complaisance, des mesures pragmatiques adaptées au des Etats ainsi que dans le cadre de coopérations sous régionales qui font défaut à ce jour. Jean-Louis Menudier, PDG d’UNIWAX, interpelle sur les risques de banalisation de ces crimes économiques : « L’Afrique est devenue la poubelle du monde pour la contrefaçon à cause d’une seule maladie : la corruption. Le phénomène a pris une telle ampleur qu’il relève aujourd’hui du crime organisé. De nos jours, quelqu’un qui se fait prendre avec 100 g de cocaïne risque jusqu’à 15 ans de prison, alors que pour l’équivalent de centaines de milliards de FCFA de contrefaçon écoulée sur le marché, c’est le bout du monde si vous écopez de 6 mois avec sursis » et il rajoute que la contrefaçon dans le monde représente 5 à 7% du commerce mondial. Ce qui représente 500 milliards d’euros. Les effets de la fraude sont catastrophiques sur les entreprises concernées et il est donc urgent, de prendre conscience de ce fléau pour sortir du cadre des promesses politiques à une lutte effective. Une analyse de Jean-Michel Lavoizard, DG de la compagnie panafricaine ARIS-Intelligence, membre du conseil d'orientation stratégique d'Audace Institut Afrique.
Article initialement publié sur le site d'Aris-Intelligence